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Les couleurs de la Libération - Des récits en mode numérique au Sénat

Hermione L’Amiral, Archiviste du Sénat

Le 22 novembre 1918, le Roi Albert prononce son célèbre discours du Trône devant les Chambres réunies et annonce une série de réformes profondes. À l’occasion du centième anniversaire de cet événement, le Sénat de Belgique a développé une application historique en mode numérique à destination du grand public. Une exposition virtuelle permet au public de découvrir une œuvre unique tirée des collections permanentes du Sénat de Belgique. Les personnages historiques qui y sont représentés entraînent le spectateur dans un récit foisonnant mais accessible au plus grand nombre. Le Sénat s’engage ainsi sur la voie de l’histoire publique.

Cet article décrit le cheminement du projet « Les couleurs de la Libération : la tapisserie raconte ». Le défi était de ne pas tomber dans le piège d’une popularisation à outrance du récit historique.

L’histoire publique au Sénat

Le 22 novembre 2018, il y aura cent ans que le Roi Albert a prononcé son célèbre discours du Trône devant les Chambres réunies. Dans le Palais de la Nation remis en état à la hâte, il annonce une série de réformes sociales et politiques très profondes. Il permet ainsi à la Belgique de tourner la page de la Grande Guerre.

À l’occasion du centième anniversaire de cet événement, le Sénat a développé une application numérique à destination du grand public. Une exposition virtuelle permet au public de découvrir une œuvre unique tirée des collections permanentes du Sénat de Belgique. La tapisserie « Le retour victorieux du Roi Albert à la tête de ses troupes à Bruxelles le 22 novembre 1918 » est un projet de l’artiste montois Anto-Carte, tissé en 1935 par la manufacture De Wit de Malines.

Point de départ de la visite virtuelle sur https://22nov1918.whi.be/

Le visiteur pourra, pour ainsi dire, se plonger en ligne dans la tapisserie et y faire la connaissance de tous les personnages qui y sont représentés. Les récits qui accompagnent la tapisserie sont rattachés à des documents numérisés provenant des archives du Sénat et n’ayant jamais été présentés au public. Les archives du Sénat sont publiques et, en tant qu’archives d’une institution parlementaire, appartiennent à la collectivité. Les membres de cette collectivité constituent donc le public cible par excellence de cette exposition virtuelle. Ce projet virtuel se double d’un pendant bien tangible : une exposition qui approfondit le contexte artistique de la tapisserie.

Le Sénat se lance ainsi sur la voie de l’histoire publique. Le présent article décrit le grand défi qui consiste à ne pas tomber dans une popularisation à outrance de l’Histoire, question qui a souvent été soulevée durant tout le cheminement de ce projet.

L’histoire pour le public ?

Alors qu’il y a quelques décennies, les historiens universitaires avaient encore un quasi-monopole sur le discours historique, le terrain semble aujourd’hui très fragmenté. ‘Technological improvements, funding changes, institutional revolutions and political interventions have all impacted on the selling, packaging and presentation of the past over the last two decades.’1

De nouvelles manières de ‘raconter l’histoire’ surgissent de toutes parts. Selon Jerome de Groot2, la diffusion de l’histoire (history) se fait aujourd’hui sous forme de toutes sortes de ‘récits historiques’ (historicals)3. Tout comme les feuilletons romancés sur fond historique, les documentaires historiques sont particulièrement appréciés du public.4 Les médias sociaux, où la culture de l’image prédomine, ne font que renforcer cette tendance.

L’histoire semble devenue la propriété de tout le monde. Qui se sent concerné peut poster de vieilles photos, livrer un commentaire et proposer son propre récit. Cette implication est généralement bien accueillie. C’est une bonne chose que d’aiguiser la conscience sociale critique.

Pourtant, l’historien professionnel assiste avec méfiance à cette montée en puissance des ‘stories’ et ‘historicals’. « La question de la pertinence sociale de l’histoire et du patrimoine culturel à la lumière de l’attractivité pour le public et de la participation de celui-ci ne fait-elle pas peu à peu obstacle à une juste utilisation de cette histoire et de ce patrimoine ? », se demande Robert Nouwen.5

Après l’ « histoire publique en tant que tendance » s’est donc développée une « histoire publique en tant que discipline »6. Cette discipline cherche à savoir comment la prise de conscience publique du passé prend naissance, par quelles sources elle est alimentée et comment elle se manifeste.7

Une manière populaire de faire passer efficacement un message consiste à recourir à la mise en récit numérique. Ce concept est bien connu dans le secteur culturel. Mais cette technique est aussi de plus en plus appliquée dans des secteurs comme le monde économique ou les soins de santé, pour vendre des services ou sensibiliser des groupes-cibles.

La mise en récit numérique est une ‘méthode par processus qui fait appel à des logiciels ou à des applications pour raconter des récits. … Les récits numériques consistent généralement en une combinaison d’images numériques, de textes et d’extraits d’enregistrements sonores, vidéo et/ou musicaux’. (traduction)8

Les archives du Sénat en tant que nouveau type de ‘historical’ ?

La sixième réforme de l’État a radicalement redessiné les compétences du Sénat. L’institution s’est cherché une nouvelle identité. Dans ce contexte, il est apparu que la richesse de ses archives représentait une importante valeur ajoutée. La commémoration de la Grande Guerre tombait donc à point nommé.

En 2016, à l’occasion de l’hommage rendu à Gabrielle Petit, les archives du Sénat ont réalisé un petit film en ligne sur le tribunal de guerre allemand qui siégeait dans l’hémicycle du Sénat. On y fait revivre Alexandre Braun, sénateur d’ascendance allemande, avocat des résistants condamnés à mort. Ce petit film est encore utilisé comme support d’éducation à la citoyenneté.

La réalisation de ce film a cependant soulevé une question épineuse. Quatre collaborateurs du service des archives s’étaient totalement consacrés durant des mois à produire cette brève vidéo d’à peine dix minutes. La mise en récit numérique - ou l’histoire publique en général - est-elle un moyen efficace de populariser les archives du Sénat, ou bien vaut-il mieux se concentrer sur la mission principale, à savoir la conservation des archives?

En même temps, la réalisation de ce film a permis aux archives d’acquérir une certaine crédibilité et de préparer une interaction avec le public. Le point de départ est que le patrimoine national appartient à tous les citoyens. Relier « le sens » (les événements historiques) et « le vécu” » (un document revêtu d’une signature, …) permet d’aiguiser la conscience historique du citoyen.

Sur la page d’accueil du Sénat figure la rubrique Traces du passé.9 On y publie régulièrement une anecdote, un bref récit, un fait marquant de la longue histoire du Sénat; les illustrations proviennent souvent des archives du Sénat.10

« Les couleurs de la libération - La tapisserie raconte » est assurément le projet le plus abouti d’histoire publique mettant en valeur le patrimoine documentaire et artistique du Sénat.
Le point central est la tapisserie représentant le Roi Albert qui, le 22 novembre 1918, à cheval devant le Palais de la Nation et entouré de sa famille, passe en revue les troupes victorieuses. Il s’apprête à prononcer le discours du Trône. Il est entouré des commandants militaires qui, avec leurs alliés, viennent de gagner la guerre. En bas à droite, le peuple qui acclame le Roi-Soldat apprendra bientôt que tous les hommes belges adultes auront droit, sans exception, à une voix aux élections. Les personnalités contemplent la scène du haut des balcons. Certains étaient présents à Loppem. D’autres voient devenir réalité les réformes auxquelles ils s’étaient toujours opposés.

Sensation historique au Sénat

« Comment pourrions-nous créer une sensation historique, c’est-à-dire une forme d’implication émotionnelle par rapport au passé, basée sur la recherche et l’expérience, sans nostalgie ni utopie? »11, se demande le groupe de projet, tout comme le fait Robert Nouwen.

Connais-toi toi-même. La grande force du Sénat réside incontestablement dans son patrimoine encore largement méconnu. Un point faible, en revanche, est que l’histoire publique ne fait pas partie du core business d’une institution parlementaire. Si la recherche scientifique historique est soutenue par le Sénat par le biais de la mise à disposition de sources, elle n’y est pas pratiquée en tant que telle.

Le Sénat s’est mis en quête d’un partenaire scientifique spécialisé en histoire et l’a trouvé au War Heritage Institute. Le fonds Léon Eeckman et l’asbl Les Amis d’Anto-Carte, eux, ont prêté leur concours sur le plan artistique. Durant la réalisation, il a été fait appel à l’Institut royal du Patrimoine artistique et à la Cinémathèque.

Pour certains domaines d’expertise, parmi lesquels l’organisation d’un projet patrimonial d’une telle ampleur, la mobilisation de médias sociaux, l’installation d’une « scénographie » et le développement de l’application web, un soutien complémentaire a été assuré par une consultance externe. La condition sine qua non était à chaque fois l’aspect ‘pédagogique’ - l’accroissement de l’expertise au sein de l’organisation - et la ‘durabilité’ - la réutilisation de l’infrastructure et du contenu.

Robert Nouwen suggère trois piliers sur lesquels devrait être basée une histoire publique « saine » : authenticité, creativité et finalité.12
Authenticité. Il est question d’une forme d’ « inauthenticité » lorsque le nombre de visiteurs prime sur la qualité du contenu historique et artistique.13 Il est évident qu’un archiviste ne conserve pas des documents pour les soustraire éternellement à l’intérêt du public. Nous recherchons bel et bien un nouveau public potentiellement intéressé. Il serait étonnant que le Sénat n’investisse pas, à cet effet, l’espace dans lequel se meut la toute grosse majorité de ce public : l’internet.

Cette exposition ne vise pas à « faire du chiffre ». Le fait de ne pas développer d’application pour smartphone procède d’un choix délibéré. Le récit que nous voulons raconter ne se lit pas à la va-vite. Le visiteur est invité à être attentif aux petits détails de la tapisserie et à prendre le temps d’écouter le récit qui se déroule en filigrane de celle-ci. L’exposition organisée dans la salle de lecture du Sénat s’inscrit dans la tendance slow art.

Pour mettre en valeur de manière dynamique le patrimoine, il faut faire preuve d’une certaine créativité. Robert Nouwen compare le passé à un livre dont seules quelques pages seraient conservées. Les pages manquantes peuvent toujours être réécrites à partir de différents angles de vue.14 C’est en effet le sentiment qu’a une personne qui se plonge dans des archives sans préparation. Toute tentative d’intéresser le citoyen moyen aux archives sans le moindre encadrement est donc vouée à l’échec.

Le fait que le projet se situe dans deux périodes différentes nécessitait aussi une créativité spécifique. La scène représentée sur la tapisserie se déroule à un moment précis de 1918, alors que l’œuvre elle-même date des années trente. Il s’agit donc d’appréhender de manière adéquate la mentalité des deux époques pour éviter que la tapisserie soit perçue comme un ‘document historique’ de la Première Guerre mondiale.
L’artiste jette un regard artistique, marqué par son époque, sur un événement qui s’est produit près de vingt ans auparavant. Anto-Carte entremêle les éléments symboliques et historiques. Certains personnages ne sont représentés sur la tapisserie que parce que leur présence était jugée indispensable. Le maréchal Foch n’était certainement pas présent le 22 novembre mais il a sa place dans le petit groupe des commandants en chef des forces armées.

De plus, Anto-Carte ne disposait pas de sources suffisantes. Seules les personnalités qui avaient pris soin de remettre une photo d’elles au Sénat eurent le droit de figurer sur la tapisserie. Ses échanges de courriers avec le Sénat montrent qu’Anto-Carte avait mené ses propres recherches historiques en se basant entre autres sur des photos de presse, des séquences filmées et des ouvrages de référence sur la Guerre.
La critique historique est donc un aspect qui transparaît clairement. L’application en ligne incite le visiteur à réfléchir à l’identité possible de certains personnages debout sur les balcons. Le choix opéré par le Sénat est expliqué au moyen d’arguments pour et contre. Quel est le point de vue personnel du visiteur à ce sujet ?

Finalité. Lorsque nous racontons ou présentons quelque chose, nous le faisons dans un contexte particulier qui reflète en partie notre personnalité et l’image que nous voulons donner de nous-mêmes. L’identité est un mobile important dans l’exposition ‘Les couleurs de la Libération’.

Reste à savoir si, ce faisant, le Sénat commet une faute morale. Cette exposition virtuelle est-elle pour nous un moyen de faire la promotion du Sénat, au détriment de l’histoire ? Ou bien présentons-nous un ‘discours historique cohérent’ propre à attirer l’attention des citoyens sur un élément de patrimoine qui leur appartient ? Notre volonté a en tout cas été que la ‘sensation historique’ générée suscite une prise de conscience durable d’un épisode historique.

« Celui qui veut un tant soit peu comprendre la conscience historique d’une société, si hiérarchisé, complexe et dynamique que soit ce phénomène, ne peut éviter certaines formes populaires de consommation historique », estime Jan De Maeyer, professeur d’histoire à la KU Leuven.15 Même le Sénat ne peut les éviter mais il se plie à cette ‘consommation historique’ sans pour autant perdre sa spécificité institutionnelle.

Quelques chiffres

Pour l’exposition ‘Les couleurs de la Libération – La tapisserie raconte’, la tapisserie « Le retour victorieux du Roi Albert à la tête de ses troupes à Bruxelles le 22 novembre 1918 » a virtuellement été divisée en
- 7 zones thématiques (rattachées à des sujets abordés dans le discours du Trône de 1918)
- 82 ‘spots’ (éléments sur lesquels cliquer)
Mis en relation avec
- 169 illustrations (provenant essentiellement des archives du Sénat)
- 1.160 textes
Rédigés en 4 langues

Hermione L’Amiral
Archiviste du Sénat
Licenciée en Philosophie
Diplômée en Archivistique et en Gestion documentaire contemporaine
Bachelière en Psychologie

- Hermione L’Amiral

Webreferenties

  1. exposition virtuelle: https://22nov1918.be
  2. compétences du Sénat: http://www.senate.be/actueel/homepage/Staatshervorming/Brochure_d-information.pdf
  3. Alexandre Braun: http://www.senate.be/groote_oorlog/Alexandre_Braun/alexandre_braun_film_fr.html
  4. Traces du passé: http://www.senate.be/www/?MIval=/index_senate&MENUID=59000&LANG=fr
  5. « Les couleurs de la libération - La tapisserie raconte »: https://22nov1918.be/
  6. War Heritage Institute: https://www.warheritage.be/nl
  7. fonds Léon Eeckman: http://www.fonds-leon-eeckman-et-le-groupe-nervia.be/

Referenties

  1. ‘Technological improvements, funding changes, institutional revolutions and political interventions have all impacted on the selling, packaging and presentation of the past over the last two decades.’ In: de Groot, Jerome, Consuming history. Historians and heritage in a contemporary popular culture (Abingdon: Routledge, 2e éd., 2016), p. 19.
  2. Jerome de Groot est chargé de cours principal à la School of Arts, Languages and Cultures de l’Université de Manchester.
  3. de Groot, Jerome, Consuming history. Historians and heritage in a contemporary popular culture (Abingdon: Routledge, 2e éd., 2016), p. 18.
  4. Voir par exemple l’analyse critique du feuilleton “Ten Oorlog”. Boers, Hans, Dobbels, Jelena et Leonard, Ingrid, ‘Verhalen sprokkelen langs de frontlijn. Een kritische blik op Ten Oorlog’, in: Low Countries Historical Review, 130:1 (2015): 107-119.
  5. Nouwen, Robert, ‘Nadenken over publieksgeschiedenis en erfgoed’. In: Limburg – Het Oude Land van Loon, 87 (2008), pp.193-203.
  6. De Wever, Bruno et Deneckere, Gita, ‘Publieksgeschiedenis in Vlaanderen. Tussen erfgoed, herinnering en media’. In: Van Nieuwenhuyse et De Schampheleire (éds.), Geschiedenis: zijn werk, zijn leven. Huldeboek René De Herdt (Gand: MIAT, 2010), pp. 59-72.
  7. de Groot, Jerome, Consuming history. Historians and heritage in a contemporary popular culture (Abingdon: Routledge, 2e éd., 2016).
  8. De Nil, Bart, Gids digital storytelling voor archief én bibliotheek. (Bruxelles : Faro, 2014), pp. 4-5.
  9. Cette forme plus modeste de mise en récit correspond davantage aux possibilités d’une équipe restreinte. Le sens et le vécu sont associés à trois niveaux. Le sens central a toujours pour théâtre le Sénat. En arrière-plan, le niveau contextuel esquisse un événement historique. L’avant-plan représente une situation qu’il est possible de ressentir, comme l’illustre bien le [Cri du coeur d’un condamné à mort] (http://www.senate.be/groote_oorlog/Sporen_uit_verleden/hernalsteens_fr.html).
  10. Le public cible demeure l’ensemble de la population belge, et en particulier ceux qui sont friands d’histoire(s). On ne vise pas spécifiquement les historiens gravitant dans les sphères universitaires.
  11. Nouwen, Robert, ‘Nadenken over publieksgeschiedenis en erfgoed’. In: Limburg – Het Oude Land van Loon, 87 (2008), pp.193-203.
  12. Nouwen, Robert, ‘Nadenken over publieksgeschiedenis en erfgoed’. In: Limburg – Het Oude Land van Loon, 87 (2008), pp.193-203.
  13. Ibidem.
  14. Ibidem.
  15. De Maeyer, Jan, Van Goethem, Geert et De Scheemaeker, Koen, ‘Erfgoed in beweging: over de dynamiek van erfgoed en geschiedenis’. In: Kerremans, Laroy et Prevenier (éd.), 35 Jaar Erfgoedbeleid : 35 Jaar Liberaal Archief (Gand: Liberaal Archief, 2016), pp. 31–41.