Le Mundaneum a fait peau neuve

Jacques Gillen

Il y a vingt-cinq ans, personne n’aurait pu imaginer que le Mundaneum deviendrait ce qu’il est aujourd’hui : un centre d’archives et un espace d’expositions reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont les collections ont reçu en décembre 2015 le Label du patrimoine européen et dont un des éléments majeurs, le Répertoire bibliographique universel, est inscrit depuis 2013 au Registre « Mémoire du Monde » de l’Unesco. Ce répertoire, souvent appelé le « Google de papier », a par ailleurs largement contribué à la notoriété internationale du Mundaneum. Destiné à rassembler les références bibliographiques de toutes les publications du monde, il s’agit de la première entreprise du Mundaneum lorsqu’il est créé en 1895 par Paul Otlet (1868-1944) et Henri La Fontaine (1854-1943).1 Il est actuellement reconnu comme outil pionnier des moteurs de recherche informatiques et d’Internet. L’intérêt pour le travail visionnaire que Paul Otlet a mené pour rassembler, classer et partager les connaissances du monde, n’a cessé de se développer ces dernières années auprès des chercheurs belges et étrangers. Innovateur en matière de bibliographie et de documentation, il est aussi considéré comme le père des sciences de l’information.

Pourtant, lorsque le Mundaneum est transféré vers le centre de Mons en 1993, il sort d’une période très difficile. De 1941 (date du déménagement des collections du Cinquantenaire au Parc Léopold à Bruxelles) à cette date, le Mundaneum a souffert d’un manque de moyens humains et financiers, des déménagements successifs2 dans des bâtiments impropres à la conservation et de l’absence d’intérêt des pouvoirs publics. Bien que l’association des Amis du Palais mondial ait continué à faire vivre l’institution après la mort de ses fondateurs et malgré le rachat des collections par la Communauté française de Belgique en 1985, la situation du Mundaneum resta critique jusqu’en 1993, date à laquelle une asbl sera créée pour reprendre la gestion et la valorisation des collections.

En 2013, un nouveau pas est franchi. La Fédération Wallonie-Bruxelles, propriétaire du bâtiment qui héberge le Mundaneum, décide d’y entreprendre des travaux d’envergure, les infrastructures existantes ne permettant plus de conserver les collections dans de bonnes conditions. Cet édifice art déco fut construit en 1929-1930 par l’architecte Vleugels pour l’Union économique de Belgique (UEB), une coopérative de consommation créée en 1911 sous le nom de « L’Indépendance » et destinée au personnel des administrations publiques et des organismes d’utilité publique. Il se composait, classiquement, d’un magasin coopératif (devenu en 1998 l’espace d’expositions du Mundaneum) et d’une boulangerie (occupée d’abord par les archives, ensuite par les bureaux de l’asbl). Après la mise en liquidation de l’UEB en 1974, il fut mis en location avant d’être racheté par la Communauté française de Belgique en 1988, qui l’octroie au Mundaneum cinq ans plus tard.

Les travaux, qui se sont étalés de juillet 2013 à juillet 2015, ont consisté en la rénovation de l’entrée de l’espace d’expositions et du bâtiment occupé par les bureaux de l’asbl mais surtout en la construction d’un dépôt pour les collections. Ce dépôt, situé en sous-sol sous la surface de l’espace d’expositions et celle de la cour le séparant des bureaux, permet désormais leur conservation dans les meilleures conditions possibles grâces à des systèmes de régulation de la température et du taux d’hygrométrie. Il se compose de deux espaces de stockage équipés de rayonnages mobiles, d’un espace équipé d’étagères pour les publications reliées et les boîtes hors format, d’une salle équipée d’armoires à plan pour les affiches et d’un local dédié aux photographies, aux négatifs souples et aux plaques de verre, où les conditions de conservation sont adaptées à ces supports. Une salle de tri, une salle de numérisation et la salle de lecture sont adjointes à ces espaces de stockage.

© P. Tombelle

Grâce à ce nouveau dépôt, les quelque 6 kilomètres courants de documents qui composent les collections du Mundaneum, auparavant répartis dans plusieurs dépôts, ont pu être rassemblés en un seul endroit. Outre les papiers personnels de Paul Otlet et Henri La Fontaine, les archives historiques du Mundaneum et des institutions créées dans son sillage (telles que l’Union des associations internationales, le Musée international, l’Institut international de photographie), s’y trouvent les collections rassemblées par les fondateurs ou leurs successeurs (affiches, photographies, plaques de verres, périodiques, dossiers documentaires, collection de documents issus des expositions universelles…), mais aussi des fonds relatifs à trois thématiques principales :

-Le pacifisme : la paix fait partie de l’identité même du Mundaneum. Paul Otlet et Henri La Fontaine étaient empreints d’idées universalistes et convaincus que l’incompréhension était la source de nombreux conflits. La volonté de faire en sorte que les peuples se connaissent mieux les uns les autres constitue le fil conducteur de leur travail de collecte et de diffusion des connaissances. Henri La Fontaine, Prix Nobel de la paix en 1913, est par ailleurs une personnalité incontournable du pacifisme belge et international de la fin du XIXe siècle et de la première partie du XXe. Leurs papiers personnels et les collections documentaires, ainsi que des fonds déposés plus récemment (tels que les archives de la Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie – CNAPD, de la maison de la paix de Charleroi, du Mouvement chrétien pour la paix ou encore une partie des papiers personnels de Jean Van Lierde3) regorgent de documents ayant trait au pacifisme et à l’internationalisme.

-Le féminisme : il s’agit d’un autre combat cher à Paul Otlet et à Henri La Fontaine, ainsi qu’à la sœur de ce dernier, Léonie.4 Cet intérêt pour l’émancipation de la femme a donné lieu à une riche collection relative au féminisme (complétée ultérieurement par d’autres fonds documentaires) qui, en plus des papiers personnels de Léonie La Fontaine, fait du Mundaneum un lieu incontournable pour qui étudie l’histoire du féminisme.

-L’anarchisme : l’anarchisme est devenu un sujet de prédilection au Mundaneum grâce à des collaborateurs de Paul Otlet et de ses successeurs, qui étaient sympathisants des idées libertaires et ont contribué à la constitution d’une collection riches de documents du monde entier sur l’anarchisme. Le principal d’entre eux est Hem Day, pseudonyme de Marcel Dieu (1902-1969), personnalité importante du mouvement anarchiste belge de l’entre-deux-guerres et de l’après Seconde Guerre mondiale.

Des fonds encore largement inexplorés, dont le traitement était impossible en raison des délocalisations et du manque d’espaces de traitement, pourront donc être triés, classés, inventoriés et enfin valorisés. Dans les années à venir, deux fonds volumineux seront traités :

-La Bibliothèque collective des sociétés savantes : créée en 1907 par Paul Otlet et Henri La Fontaine pour constituer un complément au Répertoire bibliographique universel, et initialement composée des bibliothèques de 40 sociétés scientifiques, elle fut complétée d’innombrables publications jusqu’en 1993 ; l’ensemble représente plusieurs milliers de boîtes.

-Les archives de la Maison de la paix de Charleroi : il s’agit d’environ mille boîtes d’archives produites par plusieurs mouvements pacifistes et couvrant la période s’étalant des années 1960 aux années 1990.

L’espace disponible dans le nouveau dépôt permet en outre au Mundaneum de mener à nouveau une politique d’accroissement. Celle-ci sera axée sur la préservation d’archives en lien avec ses thématiques de prédilection ou de documents permettant de compléter des collections existantes.

Depuis 1993, l’équipe du Mundaneum s’efforce de valoriser son patrimoine au travers d’expositions, de conférences ou de colloques. Outre les activités inhérentes au fonctionnement d’un centre d’archives, il se veut un espace de réflexion autour de la société contemporaine, au départ des valeurs qui ont animé Paul Otlet et Henri La Fontaine et du travail qu’ils ont mené.

Referenties