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Vandenbogaerde, Sebastiaan, Vectoren van het recht. Geschiedenis van de Belgische juridische tijdschriften (Bruges: La Charte/Die Keure, 2018), p. 444.

Vincent Genin, Chargé de recherches FWO-KU Leuven, EPHE, GSRL-Paris

D’abord, un point disciplinaire.
Le champ de l’histoire du droit, et en particulier du droit interne, connaît en Belgique, depuis quelques années, un regain d’intérêt auprès des historiens du droit et des historiens. On ne peut que s’en réjouir. Longtemps (c’est-à-dire, jusqu’il y a une dizaine d’années, non sans quelques inerties), cette discipline a été marquée par certains conservatismes, un goût du culte des grandes figures passées – obstruant tout embryon d’analyse pertinente – ou, au mieux, un récit descriptif et plat comme une succession de sentences (nous ne pensons pas, le lecteur s’en doute, à des Philippe Godding, des Jean-Pierre Nandrin ou des John Gilissen, qui ont produit d’excellentes œuvres). L’histoire du droit s’était longtemps limitée, d’une part, à l’Ancien Régime, en tant qu’excroissance du droit romain. D’autre part, les historiens de métier n’ayant pas jugé bon de prendre cet espace de réflexion à bras-le-corps, il a longtemps existé un angle mort : la sociohistoire du droit et des juristes, ainsi que de leurs revues. Pour l’époque contemporaine, elle était l’objet d’une forme de légende dorée, se basant uniquement sur les notices nécrologiques lénifiantes de prédécesseurs et obéissant à tous les topoi de l’innovation et du sacrifice scientifique du XIXe siècle (vers 1860, un bon scientifique est un scientifique mort sur sa table de travail). Les branches juridiques ayant pris leur autonomie au XIXe siècle sont particulièrement concernées ; elles sont restées jusqu’il y a peu dans un schéma d’autolégitimation marqué ; représentant souvent des matières minoritaires dans les cursus, un réflexe d’auto-défense au sein de l’institution et des réseaux internationaux extrêmement denses en étaient les caractéristiques. Tout cela contribue à des esprits de corps très solides mais qui ne favorisent pas une autoréflexivité minimale sur sa propre extraction socio-professionnelle, dont l’histoire, selon ce corps, ne peut être écrite que par lui-même, souvent sur un mode hagiographique ou, au mieux, descriptif.

Le caractère conservatoire d’un droit, qui doit toutefois s’adapter, s’était appliqué à sa propre histoire, souvent une chronique – malgré toutes les convocations, souvent inadaptées, de Michel Foucault ou de Pierre Bourdieu, ce qui, en passant outre toute pratique historienne, toute investigation de fonds, transforme parfois ce genre de chercheur, comme l’a dit très justement Patrick Boucheron, en « épistémologue aux blanches mains ». Bourdieu avait certes traité du champ juridique, mais il aurait peut-être consacré un chapitre supplémentaire de sa magnifique Esquisse pour une auto-analyse ou de la Reproduction à une réflexion sur ceux qui, parfois cuistrement, le citent à la moindre occasion pour faire passer un discours qui, sous des dehors progressistes, participent de réflexes de monopoles disciplinaires et de citadelles, au fond, assez conservatrices. Le champ de la sociohistoire du droit international en Belgique, que nous connaissons un peu mieux, compte certains juristes « purs » s’étant improvisés historiens – car il n’existe pas un « ordre des historiens », et c’est très bien ainsi – et ayant parfois adopté cette attitude. Nous viendrait-il à l’idée de nous prononcer sur un traité de droit paru chez Bruylant ou la dernière édition de la Philosophie du droit de Hegel chez Vrin ? Entretien du culte juridique, rejet de l’histoire au moyen d’une sociologie ou d’une philosophie du droit instrumentalisées et considérées comme sports de combat. Ce sont surtout là, il faudrait leur dire, de vieilles lunes, du temps où historiens et sociologues ne s’aimaient pas. Mais on ne peut empêcher certains de rejouer la guerre de Troie, quitte à ce que l’ennemi soit imaginaire. Laissons donc là cette historiographie, dont Lucien Febvre aurait fait un de ses « Contre ».

Heureusement, il n’en est rien de notre auteur, juriste et historien, qui a écrit un fort bon livre, en parlant de ce qu’il connaît. Issu d’une thèse soutenue à l’Université de Gand, ce livre est d’ailleurs publié dans une collection, dirigée par Dirk Heirbaut et Xavier Rousseaux, qui fait office de porteur d’un mouvement historiographique, étant donné que, dans la même veine, y ont été publiés De ‘Belle Epoque’ van het belgische recht (1870-1914), ou la thèse de Françoise Muller sur la Cour de cassation. Par ailleurs, la trame éditoriale générale de La Charte a publié en 2015 une Encyclopédie historique de la justice belge. Participant de ce mouvement, l’A. s’inscrit certes dans l’historiographie de l’histoire du droit, mais, comme il le dit d’ailleurs d’entrée de jeu, davantage du côté des Periodical studies, l’histoire des revues, des supports, dont la question de l’autonomie par rapport à ce que l’on appelle l’histoire de la culture juridique mérite d’être interrogé, ce que fait l’A. opportunément. Les travaux de Paolo Grossi, Michael Stolleis, Ignacio de la Rasilla, de Georges Martyn (sur les avocats) mais aussi de Dirk Heirbaut, promoteur de la thèse, qui s’est beaucoup interrogé sur l’existence d’une « tradition juridique belge », représentent à ce titre une base de réflexion très utile. Comme l’indique l’A., son travail peut s’inscrire a priori a deux niveaux d’analyse : d’une part sur un plan interne (étude de contenu), d’autre part sur un plan externe, qu’il a favorisé (analyse de la revue comme capital symbolique, comme produit de certaines individualités, comme outil de transmission du savoir, mais aussi comme liant quotidien ou périodique du monde des juristes belges). En ceci, le pari de l’A. a été bien relevé.

Maintenant, le plan du travail. Il observe un développement chronologique. L’A. consacre une première partie aux premières revues juridiques (1672-1830), une seconde à la contribution de celles-ci, dans le jeune cadre belge (1830-1881) – peut-être faudrait-il trouver autre chose que « nationale identiteit » pour définir leur rôle symbolique ? Nous voyons ce que veut dire l’auteur, mais « sentiment national » ou « culture patriotique » serait-il plus juste –, un troisième à la Belle Epoque (1881-1914), un quatrième aux temps de crises (1914-1944) et un cinquième à l’époque la plus récente. L’A. montre très bien comment le monde des revues juridiques belges a dû épouser l’évolution politique, institutionnelle et linguistique d’une Belgique dont les mutations ne furent pas négligeables en la matière.

Le paysage des juristes, qu’ils soient belges ou venant d’autres pays, s’est diversifié au fil du temps, si bien que d’un juriste à l’autre, ce sont des mondes, des codes, des attitudes, des manières de voir le monde bien différentes qui s’offrent à l’observateur. Ici, l’A., cela se ressent dans son analyse et se confirme dans la synthèse, met l’accent – il faut toujours faire des choix et il a eu raison de les faire – sur les revues généralistes telles que La Belgique judiciaire, Le Journal des Tribunaux, la Revue critique de jurisprudence belge, le Tijdschrijft voor Privaatrecht ou le Juristenblad. Ce choix, qui est très cohérent avec la démarche de l’A., implique immanquablement certains biais :

La place faite au monde des juristes pratiquant le métier d’avocat est importante (ce travail s’inscrit à ce titre dans la veine d’une historiographie de l’histoire de la justice et de ses supports culturels ; une histoire culturelle de la justice), parfois au détriment des cultures universitaires (Gand, Liège, Louvain, Bruxelles, etc.) en la matière, qui elles-mêmes produisent une presse estudiantine et parfois satirique qui, jusqu’aux années 1960, prenait plaisir à charrier les professeurs de droit de leur Faculté et leur capacité à devenir des êtres omniprésents dans leur champ disciplinaire, notamment par la gestion de revues (L’Etudiant libéral, à Liège, L’Appel ou Le Ring à Bruxelles, ou le Pourquoi Pas ? étaient parfois friands de ce genre d’informations). Ceci aurait peut-être contribué à dé-monumentaliser la perception de ce monde des revues – auquel l’A. sait rendre toute son humanité, en convoquant par exemple les échanges entre Edmond Picard et Léon Hennebicq. Par ailleurs, les volumes du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine consacrés aux répertoires de la presse belge pourraient donner une dimension supplémentaire aux protagonistes des revues juridiques étudiées car ils collaboraient bien souvent à des journaux moins scientifiques, mais parlant de droit sur un mode plus décontracté. Par exemple, en p. 76, il cite La Libre Recherche (1855-1860) et la collaboration que François Laurent lui donna, mais nous ne saurons pas qu’avec d’autres, comme le fondateur du journal Pascal Duprat, ils animèrent cette revue rationaliste, très bien étudiée par John Bartier, et dans laquelle on retrouvait les plumes de beaucoup de Proscrits français du Second Empire traitant de littérature, de politique internationale, de prétendues civilisations « supérieures » à d’autres ou de questions propres à certains droits fondamentaux de l’individu. Ceci est un détail mais témoigne que le dialogue entre littérature historique, d’histoire du droit et de la critique littéraire permet d’embrasser certains phénomènes sociaux et intellectuels qui traversent le vaste champ des revues juridiques à proprement parler.

L’A. y fait allusion : le rôle quotidien qu’occupent la Pasinomie ou la Pasicrisie dans la pratique du métier de beaucoup de juristes permettrait peut-être à de futurs travaux de se consacrer au caractère quotidien de ces revues, à la manière dont elles sont conçues, pensées, financées (question cruciale et si dure à documenter !) et l’influence qu’elles peuvent avoir, malgré leur aridité, dans l’évolution imperceptible du champ des revues juridiques. Ceci pousserait également à mieux investiguer – l’A. sait comme nous la difficulté de cette question – les archives de ces revues ; la plupart du temps, elles n’existent pas sous cette rubrique. Elles ont parfois été conservées par un éditeur ou, le plus souvent, par un rédacteur-en-chef qui, bien sûr mort dans les années 1930 ou 1950, a laissé cela à l’abandon, l’a jeté aux immondices – le rapport des juristes à leurs propres archives, et surtout à leur destruction, car beaucoup préféraient l’action à son souvenir sur le papier, ferait l’objet d’un livre en soi. Nous avons pu le vérifier dans nos propres recherches sur les revues de droit international ; le beau travail de l’A. nous a d’ailleurs poussé à nous demander si la Revue de droit international et de législation comparée (1869-1940) était belge ? Elle est née à Gand, mais ses éditeurs étaient des librairies de divers pays ; cependant, dans les faits, c’est toujours à un Belge qu’est revenue sa direction. Ceci pousse à se demander, dans la suite des réflexions de Dirk Heirbaut : qu’est-ce qu’une revue juridique belge ?

Par ailleurs, peut-être, pour de prochaines investigations, l’A. tirerait-il profit à glaner d’autres pistes du côté de la Revue des Revues, qui, depuis une trentaine d’années, traite de toutes les dimensions (archivistiques, méthodologiques, épistémologiques) de ces supports, dans le champ littéraire, ce qui permettrait de voir si certaines pratiques éditoriales de ces Legal periodicals n’émargent pas d’autres espaces intellectuels ? Il y verra le clin d’œil subjectif d’un collègue.

Ce ne sont là que des suggestions, qui n’enlèvent rien au plaisir que nous avons eu à lire ce beau travail, soutenu dans cette ville de Gand où, depuis des années, Dirk Heirbaut, avec énergie et bienveillance à l’égard des jeunes, pousse ce champ de recherche. L’exposé est clair et les chapitres disposent de conclusions intermédiaires bienvenues. Un index des noms et une table chronologique des revues traitées rendent cet ouvrage agréable et pratique à manipuler. Il rendra de grands services à l’historien du droit, à celui des revues mais aussi aux spécialistes de l’histoire de Belgique.

- Vincent Genin