De Jongh, Paul, Résistance sans frontières. Enquête sur les groupes d’espionnage et les lignes d’évasion (1940-1943) (Turnhout/Waterloo : Brepols/La Renaissance du Livre, 2019), 366 p.
Fabrice Maerten, Archives de l’État/CegeSoma, fabrice.maerten@arch.be
Traduction d’un livre d’abord paru en néerlandais1, l’ouvrage est né de la volonté de l’auteur, juriste de formation, de percer à jour ce qui avait conduit un membre de sa famille, moine à l’abbaye du Val-Dieu dans le pays de Herve, à être fusillé par les Allemands le 9 octobre 1943. Cette quête l’a amené à découvrir et à faire découvrir, derrière le destin tragique de son aïeul, l’histoire d’un groupe de résistants actifs dès le début de l’Occupation aux confins de la province de Liège et du Limbourg néerlandais.
Une plongée bienvenue aux racines de la Résistance
La Résistance en Belgique a fait l’objet de nombreuses contributions depuis la fin la guerre, comme en témoigne une bibliographie récente. Mais comme nous l’avons souligné il y a peu dans un blog, les études scientifiques se sont pour la plupart focalisées jusqu’à présent sur l’analyse des organisations, et en particulier de leur direction. C’est le grand mérite de Paul De Jongh d’avoir axé sa recherche sur le développement de la Résistance à partir de l’échelon local et régional. S’appuyant sur un riche matériau heuristique patiemment récolté, l’auteur dresse ainsi un tableau précis de la réalité complexe et mouvante de la Résistance sur le terrain, loin des organigrammes figés et artificiels de l’immédiat après-guerre.
Il apporte aussi une contribution majeure à l’analyse des réseaux relationnels à la base des premiers noyaux de résistants constitués dans les régions rurales de Wallonie. Il montre ainsi que les cellules initiales des groupes étudiés ont pour la plupart été créées à l’initiative de détenteurs d’autorité (prêtres, médecins, officiers, nobles) unis souvent dès avant la guerre par l’appartenance à un même système de valeurs marqué par le patriotisme, un fort sentiment anti-allemand né de la première occupation du pays et une foi chrétienne profondément enracinée. L’auteur souligne aussi très justement que ces liens transcendent les frontières, en l’occurrence ici la frontière belgo-néerlandaise.
L’intime au cœur du récit
Ce qui fait aussi l’intérêt du livre, c’est la capacité de l’auteur à rendre compte de l’intimité des acteurs centraux de ce drame grâce à une exploitation judicieuse de multiples documents recueillis tant dans les archives privées (familles, abbaye du Val-Dieu) que publiques en Belgique, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Cette attention lui permet de remonter en amont jusqu’aux racines familiales des principaux protagonistes du récit, et en aval, jusqu’à leur état d’esprit à la veille de leur exécution. Tout cela, avec une objectivité empreinte d’empathie pour ces résistants courageux, mais sans omettre de souligner leurs moments de découragement ou de souffrance en prison et les quelques zones d’ombre entourant certains protagonistes. Ainsi, Paul De Jongh insiste à raison sur l’imprudence de l’un ou l’autre responsable qui, dans la fougue et l’inexpérience du combat clandestin, prend trop de risques en multipliant les contacts et les types d’activité, tout en faisant trop facilement confiance à des agents ennemis infiltrés. Il n’omet pas non plus de remarquer que certains résistent difficilement à la torture et que l’un ou l’autre chef n’hésite pas à faire payer chèrement le passage de la frontière belgo-hollandaise à des Juifs pour renflouer les caisses de son organisation.
D’autres qualités, mais aussi quelques imperfections
Sont encore à mettre au crédit de l’auteur les nombreuses illustrations qui parsèment le livre. Les multiples photos permettent de donner chair aux acteurs du récit et de mieux situer les lieux du drame. Les quelques plans, tableaux et surtout cartes sont aussi très précieux, comme les encadrés sur le contexte répartis aux quatre coins de l’ouvrage. C’est aussi le cas des nombreuses annexes, en particulier du très riche lexique, des organigrammes de la Résistance ainsi que des index des noms de lieux et de personnes. On regrettera par contre la complexité du système de notes infrapaginales qui rend leur consultation malaisée de prime abord.
Le découpage de l’ouvrage prête aussi à discussion. Parti de la description avec moult détails de la série d’arrestations gravitant autour de l’abbaye du Val-Dieu, puis de l’évocation de la vie dans ce lieu consacré avant mai 1940, l’auteur entraîne le lecteur dans un long cheminement qui va de l’invasion allemande aux commémorations pour les victimes de la répression nazie, en passant par les multiples activités déployées (aide aux prisonniers de guerre évadés, aux aviateurs alliés et aux Juifs, récolte de renseignements pour les Alliés) et en s’attardant sur les circonstances aboutissant aux arrestations et sur les mois pénibles de détention, prélude aux exécutions. Il est dès lors étrange que l’auteur revienne ensuite dans trois petits chapitres sur respectivement l’organisation des lignes d’évasion, quelques questions non résolues dans la partie centrale et enfin sur la personnalité des deux principaux acteurs du drame. Une intégration de ces éléments dans le cœur du texte et une présentation plus précoce des pères Hugues et Étienne auraient permis d’éviter des répétitions inutiles et de discerner plus tôt le fil rouge du récit, parfois enfoui dans une somme de détails pas toujours nécessaires.
Un ouvrage à prendre en exemple
Il n’empêche. Malgré ces quelques aspects moins positifs, l’ouvrage répond entièrement au besoin d’un renouvellement de l’historiographie de la Résistance en Belgique. Car sans renier l’histoire des structures au plan national, indispensable à la compréhension du phénomène, il est indispensable de se plonger davantage dans la Résistance vue d’en bas. Car, comme le montre très bien l’auteur, c’est là, dans les familles, auprès des amis, des voisins, des collègues de travail ou des camarades fréquentant les mêmes associations politiques, culturelles ou religieuses qu’elle est née. En somme, il est nécessaire de reconstituer la matrice sociétale dans laquelle la Résistance s’est développée pour bien en saisir toute sa complexité et donc aussi toute son humanité, soit l’essence de toute étude historique. Merci à Paul De Jongh de l’avoir compris.
Webreferenties
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- bibliographie récente: https://www.cegesoma.be/fr/publication/la-r%C3%A9sistance-en-belgique-1940-1944-bibliographie-s%C3%A9lective
- blog: https://www.belgiumwwii.be/blog/reconcilier-histoire-et-memoire-de-la-resistance.html