Dumoulin, Michel, Genin Vincent et Gola Sabina (dir.), Autour de l’année 1866 en Italie: Échos, réactions et interactions en Belgique (Bruxelles: Peter Lang, 2020), 308 p.
Olivier de Maret, Syracuse University & New York University, Florence
Ce volume des Enjeux internationaux dédié aux relations internationales entre l’Italie et la Belgique prend l’année 1866 – centrale dans l’historiographie de l’Italie unifiée et du Risorgimento – comme tournant d’une histoire européenne en construction au 19e siècle. La victoire prussienne et les défaites militaires italiennes contre l’Autriche, l’influence de Napoléon III et le rapprochement entre la Prusse et l’Italie servent de points de départ aux douze auteurs, en majorité des historiens, rassemblés ici pour évaluer les relations diplomatiques mais aussi religieuses, économiques, sociales et culturelles entre les deux pays.
La force de l’ouvrage réside dans la grande diversité des sources analysées (archives diplomatiques, religieuses, juridiques, scientifiques, industrielles, artistiques et littéraires) et l’hétérogénéité des sujets traités et des histoires proposées. Les approches développées dans les quatre parties de ce livre se proposent d’explorer un « maillage » italo-belge et européen « qui concerne bien des domaines et implique la multiplicité des réseaux » (p. 14), comme le note l’introduction. Ce premier chapitre souligne en outre le peu d’importance accordée à la campagne militaire italienne en Belgique à l’époque et attire plutôt l’attention sur les implications économiques et politiques entre les divers acteurs autour de la question romaine, à savoir le futur des États pontificaux et du pouvoir temporel du pape au sein d’une Italie unifiée.
La première partie présente une « Mise en perspective » historique. Domenico Maria Bruni commence par situer « 1866 dans l’historiographie italienne », « annus horribilis aux yeux des contemporains » (p. 19) pour cause de guerre, d’une crise financière et monétaire et de profondes transformations politiques qui remirent en question la survie et l’identité nationale du nouvel État. Dans « La Belgique et le conflit austro-italien de 1866 », Christophe Chevalier analyse la résonnance de ce conflit dans le monde politique belge et l’influence qu’eurent les politiques autrichienne, française et anglaise. Cette réflexion se poursuit avec Michel Dumoulin qui contextualise « 1866 dans l’historiographie de la Belgique contemporaine et de ses relations avec l’Italie » en insistant sur le soutien politique et économique accordé par le monde catholique belge au pape et donc à la question romaine.
La seconde partie se tourne ensuite vers « Les relations économiques et scientifiques ». Dans « De l’organisation des échanges commerciaux italo-belges. Le traité d’amitié, de commerce et de navigation du 9 avril 1863 », Quentin Jouan met à plat le cadre légal qui régira les échanges commerciaux entre les deux pays dans les années 1860. Arnaud Péters décrit dans « L’Italie, une seconde voie d’expansion pour les entreprises liégeoises à l’aube de la seconde Révolution industrielle? » les investissements industriels belges en Italie dans l’exploitation minière et dans l’exportation de produits industriels belges. Suivant ce sillage, Michel Dumoulin et Pierre Tilly explorent les rapports financiers et monétaires entre les deux pays dans « Belgique et Italie entre Union monétaire et cours forcé » où sont analysés la naissance et le développement d’une communauté monétaire latine avec la France et la Suisse. Les échanges juridiques fleurirent aussi, comme le montre Vincent Genin dans « La visite au “grand juriste” Pasquale S. Mancini: source d’inspiration du droit international en voie d’institutionnalisation (1866-1869) », d’étroits liens intellectuels s’établissant entre les deux pays et aboutissant à la création de l’Institut de Droit international.
La troisième et plus longue partie, « Échos politiques et idéologiques », se consacre aux rapports avec l’Église et le monde catholique. Dans « La Belgique vue du Vatican à travers les instructions de la Secrétairerie d’État et les rapports de la nonciature de Bruxelles », Dries Vanysacker démêle les positions des représentants de l’Église catholique en Belgique, contextualisant ainsi les débats autour de la question romaine et des rapports entre l’Église et l’État. Dans une perspective militaire, les engagements volontaires belges dans les unités de zouaves pontificaux sont analysés minutieusement par Francis Balace dans « “Faire le zouave” à Rome en 1866. Le mythe de l’héroïque participation belge à la Neuvième Croisade à l’épreuve des faits ». Point fort de ce volume, cette étude propose enfin un bilan équilibré de la composition, du recrutement et de l’évolution de ces contingents qui déchainèrent les passions entre la France, la Belgique et Rome. L’implication des zouaves belges fut en fin de compte limitée et conditionnée par des facteurs diplomatiques, politiques, sanitaires et « de parfois sordides rivalités personnelles » (p. 234). Nicoletta Casano examine ensuite « Les rapports entre maçonneries belge et italienne autour de 1866 » où elle montre le soutien des francs-maçons belges à Garibaldi et les rapports qui se tissèrent entre les associations de la libre pensée en Belgique et en Italie.
La quatrième et dernière partie se penche sur les « Échos artistiques et littéraires ». Michel Dumoulin et Patrick Delcord offrent au lecteur, dans « Les événements italiens de 1866: une approche par le dessin et la caricature de presse », sans doute l’approche méthodologique la plus originale de ce volume. Malheureusement, la presse satyrique belge analysée ne procura aucune caricature utile aux auteurs qui se tournèrent vers la presse française, prussienne et anglaise avec plus de succès. Finalement, Sabina Gola clôt cet ouvrage avec une étude critique de « La troisième guerre d’Indépendance dans les pages du Roman d’un géologue de Xavier De Reul » publié en 1874 dont l’histoire se passe essentiellement en Italie en 1866 et utilise le dialecte piémontais.
En conclusion, les auteurs de cet ouvrage réussissent, à travers de multiples perspectives, à dénouer les fils d’un « maillage » tant italo-belge qu’européen, fait de réseaux « autour de l’année 1866 ». On regrettera juste le déséquilibre en faveur d’approches diplomatiques, là où d’autres études des échos culturels et des interactions sociales auraient sans doute contribué au caléidoscope proposé ici. Néanmoins, cet ouvrage trouvera certainement un large public parmi les lecteurs cherchant à appréhender l’histoire de l’Italie et du Risorgimento mais aussi de la Belgique et de l’Europe aux 19e et 20e siècles en empruntant des chemins moins balisés de l’histoire des relations internationales.