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Van Schuylenbergh, Patricia, Faune sauvage et colonisation. Une histoire de destruction et de protection de la nature congolaise (1885-1960) (Bruxelles : Peter Lang, 2020), 372 p.

Lancelot Arzel, Centre d’Histoire de Sciences Po.

Historienne réputée en Belgique et de par le monde, Patricia Van Schuylenbergh dirige actuellement le service Histoire et Politique du musée Africa-Tervuren. L’ouvrage édité chez Peter Lang est la version remaniée de son doctorat, soutenu en 2006 à l’Université catholique de Louvain. Malgré ces quatorze années passées entre la thèse et sa publication, Patricia Van Schuylenbergh n’a eu de cesse de publier articles et chapitres d’ouvrages pionniers sur l’histoire du fait environnemental au Congo colonial. Dans cette « Afrique belge » des 19e-20e siècles, elle a notamment étudié la « star des médias », le Parc naonal des Virunga 1, anciennement Parc Albert, les ressources halieutiques du lac Édouard2 ou encore les pratiques de chasse et de braconnage sous l’ère coloniale3. À côté du fait environnemental, l’historienne de Tervuren s’est aussi intéressée aux collections muséales et naturalistes4 comme à l’histoire du cinéma colonial5. Faune sauvage et colonisation est ainsi l’aboutissement d’une riche carrière scientifique qui fait de Patricia Van Schuylenbergh l’une des principales expertes sur l’histoire du colonialisme belge dans la continuité de Jean-Luc Vellut, Pierre Salmon ou Jean Stengers.

Cette publication, intégrée dans la collection « Outre-Mers » de Peter Lang, propose de revenir sur les effets de l’occupation coloniale sur la faune sauvage au Congo. Elle participe à l’effervescence historiographique récente dans les pays francophones autour des études environnementales6. Dès les années 1980, les historiens spécialistes de l’Empire britannique ont ouvert la voie à une histoire environnementale en contexte colonial7. Aujourd’hui, d’autres Empires présents en Afrique et en Asie sont mieux considérés : les plus récentes recherches permettent de montrer à quel point les territoires coloniaux constituent des « laboratoires » des pratiques environnementales européennes et discutent l’idée d’un « colonialisme vert » selon la formule reprise par Guillaume Blanc8 à partir des travaux de Richard Grove9 dont l’objectif est d’exclure les populations locales pour préserver un supposé Éden africain fantasmé par les acteurs occidentaux pendant et après l’occupation coloniale. Van Schuylenbergh s’inscrit ainsi dans ce dynamisme scientifique et propose une grille de lecture originale sur l’ancien Congo belge, jusqu’ici plus étudié sous l’angle politique et social qu’environnemental. Dans ce champ des études environnementales, elle propose plus spécifiquement d’étudier la faune sauvage, en continuité avec les animal studies et dans la lignée des plus récents travaux sur la chasse ou les zoos10.

Comme son sous-titre l’indique, Faune sauvage et colonisation propose ainsi d’envisager la nature congolaise d’un point de vue historique, des années 1880 – période de l’État indépendant du Congo (ÉIC) – au temps des indépendances en 1960. Si la question des menaces pesant sur la biodiversité au Congo – en particulier certaines figures animales emblématiques comme le gorille de montagne – constitue aujourd’hui un objet de recherche des sciences humaines et sociales, l’approche de Van Schuylenbergh se révèle singulière car elle s’inscrit sur le temps long et réfléchit à ce qu’elle nomme le « paradoxe colonial » : d’un côté, d’importantes destructions générées par l’occupation européenne et de l’autre, la multiplication des politiques menées pour limiter ces dégâts environnementaux, notamment par la mise en parc d’importantes portions du territoire congolais. L’environnement est alors perçu comme un lieu de pouvoir impliquant des acteurs très divers et plusieurs échelles d’analyse, des populations locales aux réseaux transnationaux de la conservation de la nature.

Faune sauvage et colonisation s’articule en quatre parties, inégales en longueur. La première revient sur le moment de la « conquête » au temps de l’ÉIC (1885-1908) pour illustrer l’émergence de ce paradoxe destruction/protection : aux chasses plus nombreuses organisées pour l’occupation militaire, l’exploitation commerciale et le prestige de l’Européen répondent les premières mesures de protection (essais de domestication, appareil législatif), symboles d’une nouvelle sensibilité européenne en faveur de la protection de la faune sauvage. La deuxième partie étudie la place des savoirs, des acteurs et des politiques scientifiques développées par la Belgique au Congo, des années 1880 aux années 1930. Van Schuylenbergh analyse en particulier les acquisitions entreprises par le nouveau Musée du Congo, ainsi que la mise en collection et l’usage de la photographie dans la diffusion des connaissances sur la faune sauvage ; elle souligne aussi l’internationalisation des recherches scientifiques au Congo par l’intervention de savants nord-américains et européens, non sans concurrences et contestations avec les acteurs coloniaux. La troisième partie, plus brève, propose un tableau général des débats transnationaux ayant cours à la fin du 19e siècle et jusqu’aux années 1930 sur la conservation de la nature. Cette approche d’histoire globale et connectée permet de mieux comprendre les positionnements des personnalités belges encourageant ces dispositifs au Congo. Enfin, la quatrième partie, la plus importante, revient sur les mesures gouvernementales mises en place pour assurer cette conservation environnementale des années 1910 aux années 1960, soulignant les tensions entre les différents acteurs (État, entreprises, colonat) et leurs objectifs dissonants. Van Schuylenbergh revient plus en détails sur la création des premiers Parcs nationaux du Congo, dont le Parc national Albert (1925), pionnier en son genre, pour mieux souligner ces conflits d’usage, entre enjeux scientifiques, contestations locales et tensions avec le gouvernement général de Léopoldville. À l’orée de l’indépendance en 1960, les tenants de la conservation sont les premiers à alerter sur les graves menaces environnementales se posant en dehors de ces parcs.

Faune sauvage et colonisation propose une lecture dense et complexe du fait environnemental au Congo colonial. L’ouvrage est admirable par sa grande maîtrise des archives administratives, politiques, scientifiques et privées, belges comme étrangères. L’histoire connectée dessinée par Patricia Van Schuylenbergh permet alors un jeu d’échelles plus qu’éclairant, qui ne se contente pas de simples allers-retours entre la colonie et sa métropole : en ce sens, l’historienne participe à la ferveur historiographique, discutée et discutable, autour de l’histoire globale sans jamais manquer d’être au plus près de ses sources ni de montrer la complexité des pratiques et des acteurs impliqués dans les destructions et la protection au Congo. Cette publication, parachevant une carrière scientifique extrêmement riche, permettra ainsi aux spécialistes des sciences humaines et sociales d’envisager le fait environnemental en Afrique centrale sur le temps long, en envisageant en particulier les continuités entre la période coloniale et postcoloniale. Faune sauvage et colonisation aurait pu envisager de manière plus détaillée les populations africaines dans l’esprit d’une histoire « à parts égales » comme elle aurait pu donner à lire une histoire « du point de vue animal » 11, c’est-à-dire prenant en compte les expériences vécues par la « faune » face aux actions des acteurs européens et africains. Les archives, par nature anthropocentrées, comme le format éditorial expliquent sans doute ces limites. Enfin, si Van Schuylenbergh souligne que « l’histoire reste à écrire » pour le Congo post-indépendance, le lecteur aurait aimé en apprendre plus sur les effets du « colonialisme vert » sur l’environnement et la société congolaises d’aujourd’hui. Des programmes de recherche récents, notamment autour de Guillaume Blanc et Violette Pouillard, travaillent à combler ces lacunes historiographiques pour mieux souligner le poids encore important des acteurs occidentaux dans la gestion des espaces naturels en Afrique.

- Lancelot Arzel, Centre d’Histoire de Sciences Po

Références

  1. Van Schuylenbergh, Patricia, « Virunga, star des médias. Les tribulations du plus ancien parc naturel d’Afrique », Le Temps des Médias. Revue d’histoire, 25 (2015) : 85-103.
  2. Van Schuylenbergh, Patricia, « Contributions à l’histoire du lac Édouard : enjeux socio-économiques et environnementaux autour des ressources halieutiques (vers 1920-1960) », dans Mantuba-Ngoma Pamphile Mabiala et Etambala Mathieu Zana (dir.), La société congolaise face à la modernité (1700-2010). Mélanges eurafricains offerts à Jean-Luc Vellut (Paris : MRAC/L’Harmattan, 2016), 125-160.
  3. Van Schuylenbergh, Patricia, « Entre délinquance et résistance au Congo belge : l’interprétation coloniale du braconnage », Afrique & Histoire, 7:1 (2009), 25-48.
  4. Van Schuylenbergh, Patricia, « Du terrain au Musée, du Musée au terrain. Constitution et trajectoires des collections zoologiues du Congo belge (1880-1930) », dans Juhé-Beaulaton Dominique et Leblan Vincent (dir.), Le spécimen et le collecteur : savoirs naturalistes, pouvoirs et altérités (18e-20e siècles) (Paris : Muséum national d’histoire naturelle, 2018), 149-183.
  5. Van Schuylenbergh, Patricia, « Le Congo belge sur pellicule. Ordre et désordres autour d’une colonisation (ca. 1940-ca. 1960) », Revue d’histoire contemporaine de l’Afrique, 1 (2021) : 16-38
  6. Blanc, Guillaume, Demeulenaere, Élise et Feuerhahn, Wolf (dir.), Humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes (Paris : Publications de la Sorbonne, 2017), 352.
  7. MacKenzie, John, The Empire of nature: hunting, conservation and British imperialism (Manchester/New York : Manchester University Press, 1988), 334.
  8. Blanc, Guillaume, L’invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain (Paris : Flammarion, 2020), 332.
  9. Grove, Richard, Green imperialism: colonial expansion, tropical island Edens and the origins of environmentalism, 1600-1800 (Cambridge/New York : Cambridge University Press, 1995), 540.
  10. Arzel, Lancelot, « À la guerre comme à la chasse ? Une anthropologie historique de la violence coloniale dans l’État indépendant du Congo (1885-1908) », dans Lanneau, Catherine, Plasman, Pierre-Luc et Van Schuylenbergh, Patricia (dir.), L’Afrique belge aux XIXe-XXe siècles. Nouvelles recherches et perspectives en histoire coloniale (Bruxelles : Peter Lang, 2014), 145-159 ; Pouillard, Violette, Histoire des zoos par les animaux. Impérialisme, contrôle et conservation (Seyssel : Champ Vallon, 2019), 467.
  11. Bertrand, Romain, L’histoire à parts égales. Récits d’une rencontre, Orient-Occident (XVIe-XVIIe siècle) (Paris : Seuil, 2011), 672 ; Baratay, Éric, Le point de vue animal. Une autre version de l’histoire (Paris : Seuil, 2012), 400 ; Baratay, Éric (dir.), Aux sources de l’histoire animale (Paris : Éditions de la Sorbonne, 2019), 288.