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« Traitres » derrière les barreaux : les réformes pénitentiaires belges de l’entre-deux-guerres au carrefour de la répression de l’incivisme et de la répression de la collaboration (1918-1940)

Florentin Dawagne, Apirant F.R.S.-F.N.R.S., à l’UCLouvain

Choisir d’étudier la répression de l’incivisme au lendemain de la Première Guerre mondiale par l’axe de la prison, c’est entrer dans un monde judiciaire et pénitentiaire en pleine mutation. Si la notion d’« incivisme » utilisée notamment par la presse après la Grande Guerre ne possède pas de définition juridique dans la législation belge, elle renvoie aux infractions politiques qualifiées, dans le code pénal, d’atteintes à la Sûreté de l’État1. Une fois passés les premiers mois de la répression par les juridictions militaires, les juridictions civiles ordinaires reprennent la main. Une série de réformes s’inscrivant dans un processus de remise en question du système pénitentiaire antérieur à la guerre sont alors opérées au sein du monde carcéral2. L’incarcération des inciviques qui se distinguent des détenus de droit commun par une origine sociale plus aisée semble avoir précipité certaines réformes au sein des geôles du royaume.

Les réformes entreprises dans le domaine pénitentiaire aux lendemains de la Grande Guerre s’expliquent par la convergence d’un triple mouvement de contestations : la critique du système cellulaire initiée par la défense sociale depuis la seconde moitié du XIXe siècle ; les protestations de plusieurs citoyens enfermés par les Allemands durant la guerre dans les prisons du pays, qui s’insurgent contre la cellule et les conditions de détention assez rudes qu’ils ont connues et qu’ils « ont généralisé à un système pourtant très différent en temps normal » 3 ; les revendications de certains activistes emprisonnés au lendemain de la guerre dans le cadre de la répression de l’incivisme qui réclament des réformes face à leurs conditions de détention. Veillant à assigner un caractère scientifique à ses réformes, le Ministre de la Justice, Émile Vandervelde, introduit les conceptions de l’anthropologie criminelle en vue d’individualiser les traitements pénitentiaires sur base d’une classification des personnalités des délinquants qui sont observés dans des laboratoires nouvellement créés au sein des prisons. Pourtant, même si les réformes entreprises par Vandervelde assouplissent le régime cellulaire instauré au XIXe siècle, ce système continuera de dominer jusqu’à la Seconde Guerre mondiale4.

Approche pénitentiaire de la répression de l’incivisme : état de la recherche et objectifs

Comme de nombreux phénomènes observés durant les deux guerres mondiales, la répression de l’incivisme qui a suivi la Grande Guerre a longtemps été occultée de l’historiographie par la répression de la collaboration aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale5. Restée lettre morte jusqu’au début des années 2000, la répression de l’incivisme, à l’aune de la Grand Guerre, a depuis fait l’objet de différentes études. Si, plusieurs travaux ont permis de mettre en lumière les pratiques judiciaires et les représentations collectives opérantes durant la répression de l’incivisme, le volet pénitentiaire de cette répression n’a, jusqu’ici, jamais été étudié par les historiens. Privilégiant tantôt les sources judiciaires, tantôt la presse, voire ces deux types de sources, plusieurs recherches menées dans le cadre de mémoires de maîtrise en histoire ont permis d’avoir une idée plus précise et plus complète d’un phénomène jusqu’alors oublié6. En affinant le cadre légal dans lequel la collaboration politique a été poursuivie, le travail de Michel Deckers a notamment souligné le caractère mesuré et emblématique de la répression de l’activisme7. D’autres recherches, dirigées pour la plupart par Xavier Rousseaux et Laurence Van Ypersele, ont mené à la rédaction d’un ouvrage de synthèse, La patrie crie vengeance, mettant en lumière les pratiques judiciaires et les imaginaires collectifs à l’œuvre lors de la répression de l’incivisme8. L’ouvrage intitulé En première ligne, portant sur l’étude de la justice militaire hennuyère par Guillaume Baclin et de la cour militaire par Laurence Bernard, s’est concentré sur le fonctionnement de la justice militaire qui a réprimé les affaires d’« incivisme » juste après la Grande Guerre9. A l’aube des années 2010, Jos Monballyu a lui aussi réalisé une série de recherches portant sur la justice belge durant la Grande Guerre et ses lendemains. Ainsi, il a notamment inventorié et analysé les dossiers d’inciviques présents dans les archives de la cour d’assises du Brabant, la cour d’assises la plus importante pour étudier la répression de l’incivisme en Belgique puisque c’est à Bruxelles que siégeait le Raad van Vlaanderen 10. Récemment, dans le cadre d’un projet de recherche doctoral mené conjointement à l’Université de Gand et au Centre d’études et de documentation Guerre et Sociétés contemporaines, Florent Verfaillie a étudié l’impact social de la guerre à l’égard des résistants et des collaborateurs de la Grande Guerre. Pour retracer le parcours de ces derniers et saisir les facteurs qui poussent les inciviques à agir de la sorte, l’historien s’est notamment intéressé aux archives pénitentiaires telles que les dossiers anthropologiques. Grâce à ces sources, il a, entre autres, pu dresser une typologie des condamnés pour infraction à l’article 115 du code pénal, offrant ainsi un aperçu général de la collaboration économique en Belgique occupée11.

L’approche pénitentiaire que nous développons pour étudier la répression de l’incivisme consiste à pénétrer un champ thématique déjà étudié via un axe de recherche inédit. Ce dernier a déjà été utilisé pour appréhender l’internement des collaborateurs à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, notamment par Helen Grevers qui compare les différences de traitement pénal entre la Belgique et les Pays-Bas, mais jamais pour approcher la répression de l’incivisme au lendemain de la Grande Guerre12. En ce sens, notre recherche apparait tout à fait neuve et originale. En étudiant la période de l’entre-deux-guerres marquée par la répression de l’incivisme et les réformes pénitentiaires de l’anthropologie criminelle, nous souhaitons adjoindre l’expertise d’un historien aux travaux déjà réalisés sur le système pénitentiaire belge. En effet, les réformes pénitentiaires de l’entre-deux-guerres et, de manière plus générale, la problématique pénitentiaire dans son ensemble ont surtout intéressé les criminologues. Ces derniers analysent différentes politiques pénitentiaires en recourant souvent à une perspective historique13. Or, si ces travaux font référence aux écrits des théoriciens et aux revues spécialisées (Revue de droit et de criminologie, Bulletin de l’Administration pénitentiaire, Bulletin de la Société de médecine mentale de Belgique, L’Écrou), ils reposent rarement sur l’étude des archives pénitentiaires. De plus, faute de recherches en histoire pénitentiaire, l’expérience spécifique des guerres mondiales est souvent considérée par les criminologues comme un épiphénomène, sans impact sur les conceptions criminologiques de la prison.

L’intérêt de notre approche consiste à intégrer l’étude de la prison dans l’histoire du XXe siècle tout en introduisant une approche historique au sein de la réflexion sur la criminologie du XXe siècle. Ainsi, notre recherche poursuit un double objectif qui s’inscrit dans la continuité de notre mémoire de maitrise qui traitait des pratiques pénitentiaires envers les détenus de Mons et Charleroi aux lendemains de la Grande Guerre entre 1918 et 192514. D’une part, il est question de prolonger et d’approfondir les problématiques traitées dans ce dernier et, d’autre part, il s’agit de répondre aux nouvelles questions soulevées au terme de celui-ci.

Carte postale de la prison de Mons vers 1907, Marco Marcovici, Édit. Georges Walbonnet. (Collection personnelle).

L’objectif principal traite le volet pénitentiaire de la répression de l’incivisme en se concentrant sur l’étude des inciviques enfermés dans les prisons belges entre 1918 et 1940. Premièrement, la mesure des arrestations doit déterminer combien de suspects ou d’inciviques ont franchi les murs des prisons du royaume tout en précisant leur répartition spatio-temporelle. Si nous savons qu’il y a eu une dizaine de milliers de poursuites pénales, la Statistique judiciaire de la Belgique des années 1919-1925 ne donne pas de chiffre d’ensemble sur le nombre de détenus emprisonnés pour des faits de crime contre la Sûreté de l’État. Deuxièmement, il s’agit d’étudier quels sont les profils, c’est-à-dire les caractéristiques sociologiques, des inciviques détenus. Troisièmement, il s’agit d’étudier les pratiques pénitentiaires à deux niveaux, en nous concentrant sur les ressentis des inciviques, d’une part, et sur le regard de l’administration pénitentiaire, d’autre part.

Carte postale de la prison de Charleroi vers 1912, Désiré van Dantzig, Imprimerie coopérative L’Égalité. (Collection personnelle).

Le second objectif de notre recherche est de comprendre les réformes pénitentiaires de l’entre-deux-guerres. Ce deuxième objectif entend analyser l’influence de la répression de l’incivisme sur les réformes pénitentiaires, notamment en vérifiant l’hypothèse selon laquelle l’incarcération d’activistes issus de la petite bourgeoisie aurait accéléré l’instauration d’un régime spécial pour les condamnés politiques. Par ailleurs, nous tentons de comprendre si une apparente absence de traitement pour les inciviques du premier conflit mondial, combinée à l’expérimentation des réformes de l’anthropologie criminelle, peut expliquer les errements d’une politique d’internement et de resocialisation des collaborateurs de la Deuxième Guerre mondiale. En effet, selon le concept de « path dependency »15, les décisions politiques sont souvent prises dans un cadre contraint par des décisions antérieures.

Selon nous, une étude des archives de l’administration pénitentiaire permet d’éclairer les processus de réflexion qui ont conduit à la mise en place d’un traitement adapté aux collaborateurs de la Deuxième Guerre mondiale. Les deux objectifs que nous poursuivons correspondent à deux approches méthodologiques : une approche par le bas qui se focalise sur l’incivique, d’une part, et une approche par le haut qui se concentre sur l’administration pénitentiaire, d’autre part. Ces deux approches sont possibles grâce au traitement qualitatif et quantitatif d’un corpus de sources diversifiées.

- Florentin Dawagne

Références

  1. C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que le terme « collaboration » est petit à petit préféré à celui d’ « incivisme » pour désigner un même phénomène.
  2. Les réformateurs belges de la prison au XIXe siècle et leurs réseaux font actuellement l’objet d’une thèse par Amandine Thiry dans le cadre du projet TIC-Belgium (BRAIN-be), menée conjointement à l’UCL et l’UGent.
  3. Mary, Philippe, ‘De la cellule à l’atelier. Prins et la naissance du traitement des détenus en Belgique’, dans: Mary, Philippe et Van Der Vorst, Pierre, Cent ans de criminologie à l’ULB : Adolphe Prins, l’Union internationale de droit pénal, le Cercle universitaire pour les études criminologiques (Bruxelles: Bruylant, 1990), p. 179.
  4. Peters, Tony, ‘Attribution discriminatoire du régime au cours de l’exécution de longues peines’, Déviance et société, 1: 1 (1977) : p. 41.
  5. Huyse, Luc en Dhondt, Steven, Onverwerkt verleden. Collaboratie en repressie in België, 1942-1952 (Leuven: Kritak, 1991) ; Deak, István, Gross, Jan Tomasz and Judt, Tony, The politics of retribution in Europe. World War II and Its Aftermath (Princeton: Princeton University Press, 2000); Gotovitch, José et Kesteloot Chantal, dir., Collaboration et répression, un passé qui résiste (Bruxelles: Labor, 2002).
  6. Nous citerons, sans être exhaustif : Deckers, Michel, Van Verraders tot martelaars de strafrechterlijke repressie van activisme (1918-1921), masterscriptie (Leuven: KUL, 1998) ; Trinteler, Caroline, La répression de la collaboration dans le sud de la province de Luxembourg après la Première Guerre mondiale. L’activité de la cour d’assises d’Arlon (1919-1929), mémoire de licence (Louvain-la-Neuve: UCL, 2000) ; Munaut, Jérémy, Au sortir de la guerre : une expérience ambiguë. Étude à travers la presse belge de novembre 1918 à décembre 1920, mémoire de licence (Louvain-la-Neuve: UCL, 2001) ; Dardenne, Marie-Céline, Punir les « traîtres de la Patrie ». La répression de l’incivisme dans l’arrondissement de Verviers après la Première Guerre mondiale (1918-1921), mémoire de licence (Louvain-la-Neuve: UCL, 2004) ; Bernard, Laurence, La Cour militaire belge et l’espionnage au sortir de la Première Guerre mondiale (1918-1920), mémoire de licence (Louvain-la-Neuve: UCL, 2006) ; Vermeulen Charlotte, Profiel van economische collaboratie in de gerechtelijke arrondissementen West-Vlaanderen en Antwerpen tijdens de Eerste Wereldoorlog : misdaad en bestraffing in de Assisenhoven, masterscriptie (Gent: UGent, 2015).
  7. Deckers, Michel, ‘De strafrechtelijke vervolging van het activisme’, Wetenschappelijke tijdingen, 11 (2002) : p. 156-178.
  8. Rousseaux, Xavier et Van Ypersele, Laurence, dir., La patrie crie vengeance ! La répression des « inciviques » belges au sortir de la Guerre 1914-1918 (Bruxelles: Le Cri, 2008).
  9. Baclin, Guillaume, Bernard, Laurence et Rousseaux, Xavier, En première ligne. La justice militaire belge face à « l’incivisme » au sortir de la Première Guerre mondiale (Bruxelles: Algemeen Rijksarchief, 2010).
  10. Monballyu, Jos, Slechte Belgen ! De repressie van het incivisme na de Eerste Wereldoorlog door het Hof van Assisen van Brabant (1919-1927) (Bruxelles: 2011) ; ID., Inventaris van het archief van het Hof van Assisen van Brabant : Strafdossiers tegen incivieken van de Eerste Wereldoorlog (Brussel: Algemeen Rijksarchief, 2013).
  11. Verfaillie, Florent, ‘Les collaborateurs économiques en Belgique occupée (1914-1918) : essai de typologie’, Guerres mondiales et conflits contemporains, 272: 4 (2018) : p. 91-106.
  12. Nous citerons, sans être exhaustif : Dock-Gadisseur, Julie, Le Mérinos, Dinant (1945-1947) : un centre d’internement pour femmes inciviques au sortir de la Seconde Guerre mondiale, mémoire de licence (Louvain-la-Neuve: UCL, 2007) ; Grevers, Helen, Van landverraders tot goede vaderlanders. De opsluiting van collaborateurs in Nederland en België, 1944-1950 (Amsterdam: Balans, 2013) ; Roberti-Lintermans, Margaux, Le centre d’internement pour inciviques de Verviers (septembre 1944-novembre 1945) : contribution à la répression des collaborations dans les cantons de l’Est, mémoire de licence (Louvain-la-Neuve: UCL, 2015).
  13. De Ruyver, Brice,_ De strafrechtelijke politiek gevoerd onder de socialistische ministers van justitie E. Vandervelde, P. Vermeylen en A. Vranckx_ (Antwerpen: Kluwer Rechtswetenschappen, 1988) ; Neys, Achiel, Peters, Tony, Pieters, Freddy en Vanacker, Johan, dir., Tralies in de weg. Het Belgische genvangeniswezen : historiek, balans en perspectieven (Leuven: 1994) ; Maes, Éric, Van gevangenisstraf naar vrijheidsstraf : 200 jaar Belgisch gevangeniswezen (Antwerpen: Maklu, 2009) ; Mary, Philippe, ‘La politique pénitentiaire’, Courrier hebdomadaire du Crisp, 2137 (2012), p. 5-47 ; Fijnaut, Cyrille, dir., Criminologie en strafrechtsbedeling. Een historische en transatlantische inleiding (Antwerpen: Uitgeverij Boom, 2014).
  14. Voir l’article issu de ce mémoire : https://www.journalbelgianhistory.be/fr/journal/belgisch-tijdschrift-voor-nieuwste-geschiedenis-l-2020-1/traitres-derri-re-barreaux-approche (cliquez droit sur le lien)
  15. Pierson, Paul, ‘Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics’, The American Political Science Review, 94 (2000), p. 251-267.