Louis Gillieaux, De Belgische spoorwegen : gisteren, vandaag, morgen. Tielt: Lannoo, 2017.
Alix Sacré, Assistante chargée d’enseignement et de recherche à l’Université Saint-Louis – Bruxelles
L’ouvrage de Louis Gillieaux, anciennement en charge du service de presse et des relations publiques de la SNCB et actuellement à la tête du service documentation, questions historiques et archives de ladite société, est consacré aux chemins de fer belges : comme l’indique le titre, il ne se concentre pas seulement sur leur histoire mais aussi sur leur actualité et leurs perspectives d’avenir. Ces trois aspects expliquent la division du livre en trois parties, qui abordent notamment l’évolution du réseau ferroviaire belge, les liens entre chemin de fer et économie, le développement des liaisons internationales, les évolutions technologiques (notamment le matériel roulant, les voies, les systèmes de freinage et de signalisation, l’amélioration de la vitesse…) ou encore la place du train dans les questions actuelles de mobilité. L’ouvrage a le mérite de traiter l’histoire et l’actualité du chemin de fer dans ses aspects sociaux, économiques, politiques, techniques et environnementaux. La temporalité choisie – 1835 (et même avant) jusqu’à nos jours (et même plus tard) – est intéressante parce qu’elle se différencie de nombre d’ouvrages sur le sujet, qui s’arrêtent le plus souvent à l’apogée de l’histoire du réseau et n’abordent que très succinctement son déclin, et encore moins sa revitalisation dans les années 2000.
Si les deux dernières parties sont donc d’un indéniable intérêt, la première est sans doute peu novatrice car elle reprend les canons d’ouvrages assez anciens sur le sujet : sont ainsi évoqués les premières heures du réseau ferroviaire belge (une double page est ainsi consacrée au premier trajet de chemin de fer public sur le continent européen, entre Bruxelles et Malines) et le progrès apparemment continu de ce nouveau moyen de transport, et ce, avec force louanges mais aussi un manque de détails et de dates précises. Les liens entre le chemin de fer et l’économie, notamment, mériteraient d’être exemplifiés. En outre, les dix lignes consacrées aux chemins de fer au Congo laissent le lecteur quelque peu sur sa faim.
Cependant, les apports ne manquent pas : on mentionnera par exemple les pages consacrées aux chemins de fer industriels (qui précédèrent les chemins de fer publics) ou encore un chapitre sur les ingénieurs belges actifs dans le domaine du progrès ferroviaire, tant en Belgique qu’à l’étranger, et dont les noms sont parfois peu connus du public. Les pages dédiées au transport des marchandises sont elles aussi très instructives car cet aspect est trop souvent oublié ou masqué par le trafic des voyageurs. En outre, les lignes du temps présentées en fin de chapitres permettent de faire ressortir les éléments principaux de la narration. Enfin, le devenir du chemin de fer durant les deux guerres mondiales est également abordé, quoique certains aspects restent à développer ou à nuancer (notamment en ce qui concerne les déportations ou le rôle des cheminots dans la résistance, relativement encensé).
Les deuxième et troisième parties, consacrées à l’actualité et à l’avenir du chemin de fer, donnent réellement de la valeur à l’ouvrage en traitant des problèmes actuels de mobilité et de développement durable, de l’émergence des trains à grande vitesse et des projets de liaisons internationales, de la concurrence entre les différents moyens de transport et de l’intermodalité. On mentionnera, dans la seconde partie, le chapitre consacré au projet du RER, qui fait le bilan des premières tentatives de création l’avancée des travaux. L’ouvrage nous révèle ainsi que l’idée d’un réseau suburbain était déjà à l’étude dans les années 1920. Il aurait cependant été intéressant de savoir en quoi consistaient ces premiers projets et pourquoi ils ne furent pas réalisés à l’époque.
Dans ces deux dernières parties, la focale est également élargie : le propos ne se centre pas uniquement sur la Belgique mais aborde aussi des projets élaborés avec / à l’étranger, tels de nouvelles liaisons ferroviaires, des améliorations technologiques, etc. Il aurait toutefois été judicieux d’adopter cette perspective dans la première partie, dans laquelle les compétences et l’expertise belges semblent ne connaître aucune concurrence. Les deux parties suivantes sont, à cet égard, très intéressantes, parce qu’elles apportent des nuances sur le sujet en expliquant que, si la Belgique, depuis la Seconde Guerre mondiale, a perdu peu à peu sa place de leader de l’innovation ferroviaire, elle est encore active en ce qui concerne certaines technologies.
On regrettera néanmoins un certain manque d’objectivité dans l’ensemble de cet ouvrage : l’histoire du chemin de fer semble s’être fait sans accroc, sans ennemis et sans détracteurs, et le progrès paraît avoir été continu. Aujourd’hui, le chemin de fer semble être la solution à tous les problèmes de mobilité et il ne paraît y avoir aucun problème qui n’ait de solution en ce qui concerne la gestion quotidienne du réseau. A titre d’exemple, les accidents ferroviaires ne sont presque pas évoqués, l’impact de la Jonction Nord-Midi dans la déstructuration du tissu urbain bruxellois ne paraît pas avoir été si importante et la partie consacrée aux problèmes de ponctualité ressemble à un plaidoyer pour la SNCB.
Plus généralement, le chercheur remarquera l’absence de notes infrapaginales ou, à tous le moins, d’une bibliographie exhaustive, ce qui est d’autant plus dommage que, vu sa position, l’auteur a vraisemblablement pu avoir accès à une multitude de sources variées, inconnues, inédites, voire inaccessibles au public. En outre, les (trop) nombreuses explications techniques et physiques des différents modèles de locomotives ou de trains à grande vitesse pourraient parfois être abrégées. Enfin, on regrettera l’absence presque totale d’informations sur les gares qui, au même titre que les voies, font partie des infrastructures ferroviaires et revêtent donc une grande importance !
En termes stylistiques, le ton est agréable et emprunte parfois au roman en faisant intervenir des personnages de l’époque (Stephenson effectuant les dernières vérifications avant le premier trajet de chemin de fer en Belgique ou découvrant notre réseau actuel, par exemple). En outre, le « corps du texte » est accompagné d’une multitude d’anecdotes (tant techniques qu’historiques) parfois étonnantes qui rendent la lecture dynamique et satisferont les curieux.
En résumé, si la première partie n’apporte que peu de nouveautés par rapport à la littérature existante sur le sujet, les deux parties suivantes sont plus novatrices, bien que certains points mériteraient d’être nuancés et développés. Grâce au ton adopté, à l’ajout de nombreuses anecdotes et à l’utilisation de sources que l’on suppose riches et variées, Louis Gillieaux nous propose une synthèse complète et accessible de l’histoire, de l’actualité et de l’avenir du chemin de fer belge, dans un style clair et concis. Ce travail peut être considéré comme une bonne synthèse sur le sujet.