Mbuyu Lumbu Ilunga Olivier, Les conflits armés au Nord-Katanga, République Démocratique du Congo (1865-2015). De Kasongo Kalombo au découpage territorial effectif, Paris : Les impliqués éditeur, 2021, 219p.
Ornella Rovetta, Archives Générales du Royaume 2
Dans cet ouvrage, Olivier Mbuyu Lumbu Ilunga s’attache à retracer la généalogie des « conflits armés chroniques » dans le Nord-Katanga. Juriste de formation, l’auteur est juge et chercheur originaire de cette région. Le titre annonce le survol d’une période longue, de la fin du XIXe siècle à 2015. On distingue trois grandes périodes dans ce livre : celle allant de 1865 avec les « guerres du soir » jusqu’à la « paix coloniale » de 1906 (p. 21). Celles des conflits regroupés sous l’appellation « guerres croisées » entre 1960, année de l’indépendance du pays, et 1965. Enfin, celle de la Première et la Deuxième Guerre d’Afrique centrale à partir du milieu des années 1990. Le déroulement des guerres croisées (de sécession et lumumbiste) et des conflits plus récents sont les plus développées. Le lecteur en attente d’une enquête historique restera cependant sur sa faim, tant les pages sur les périodes anciennes sont peu nombreuses et factuelles.
Chacun de ces différents conflits sont évoqués successivement dans trois grandes parties thématiques : Les causes, le déroulement et les acteurs. Pour chaque ensemble de conflits, les acteurs internes et externes sont énumérés, ainsi que – pour les périodes plus récentes – les Nations Unies. Cette structure thématique aboutit à une présentation fractionnée et brute de ces guerres, ce qui rend la compréhension difficile pour les lecteurs non-avertis. Le livre s’apparente à une chronique des conflits et une énumération des acteurs impliqués. La partie sur le déroulement des guerres se limite ainsi parfois, dans les mots de l’auteur, à « énumérer les différents actes stratégiques selon une certaine chronologie » (p. 97). Si on ne peut qu’abonder dans le sens de l’auteur sur la nécessité de s’intéresser à cette histoire, le découpage de l’ouvrage ne parvient pas à véritablement dégager les lignes de continuité et de fracture entre les différents conflits traités.
L’originalité de cette publication se situe dans le choix d’une approche centrée sur un territoire, le Nord-Katanga, et sur une période longue. Elle met aussi en lumière des conflits peu connus dans cette province et moins étudiés que ceux du Nord et du Sud-Kivu. La plupart des travaux sur les guerres d’Afrique centrale ont été conduits par des politologues, des historiens et des journalistes1. Dans ses recommandations qui constituent la conclusion de l’ouvrage, l’auteur s’inscrit dans la continuité des constats posés par ces travaux : guerres chroniques, rôle de l’Etat postcolonial, question de l’éducation, prise en charge psychologique des victimes. Mais il ne parvient pas à y proposer une synthèse des trois grandes parties de l’ouvrage. Ainsi, causes, déroulement et acteurs sont traités en vase clos. Au vu de la discipline de l’auteur – le droit – il est également étonnant de noter l’absence quasi totale de réflexion juridique sur les qualifications de ces guerres, la responsabilité de leurs auteurs et la reconnaissance des victimes. Si on connaît l’impunité qui entoure ces conflits, une approche juridique de leurs conséquences aurait pu apporter d’utiles éléments de compréhension. Aucun chiffre, même approximatif, n’est donné, tant du côté des combattants que des victimes. Ces dernières restent à l’arrière-plan de l’ouvrage, même si leurs souffrances sont évoquées dans les très brèves introduction et conclusion. Enfin, les termes guerres, conflits intercommunautaires et conflits armés ne sont pas définis, analysés ou justifiés, malgré le recours récurrent qu’y fait l’auteur et leur centralité dans l’ouvrage.
L’autre point intéressant à souligner ici est la grande actualité du thème traité, tant les violences, en particulier mais pas exclusivement dans le Nord et le Sud-Kivu (frontaliers du Nord-Katanga), restent un enjeu majeur aujourd’hui. Comme dans nombre de publications sur la question, c’est d’abord l’incroyable complexité et imbrication des enjeux et des acteurs qui apparaît. Mais ici encore, la structure du livre empêche la compréhension des logiques ayant conduit à la constitution des milices et à leur soutien par les puissances régionales au gré des changements d’alliances. Dans un autre registre, le film documentaire récent L’empire du silence de Thierry Michel montre (et dénonce) quant à lui l’imbrication des conflits à une échelle plus large2.
Enfin, on se demande en refermant ce livre ce qui relève des dynamiques de longue durée dans ces conflits. Malgré l’objectif qu’il s’est fixé (étudier les causes, le déroulement et les acteurs), l’auteur ne conclut ni n’infirme l’existence de « patterns » récurrents. La conclusion de chacune des parties est donc laissée en suspens. Par exemple, la première partie sur les causes des guerres dresse une liste de différentes thèses sur les causes (p. 39-72) mais ne les articule pas ou n’en tire aucune conclusion. C’est d’autant plus dommage que ces différentes analyses sont empruntées à des auteurs et analystes africains, trop rarement mis en avant, mais qu’on ne trouve ici qu’à peine énumérés sans être confrontés ou exploités pleinement. Les causes ne sont pas véritablement « expliquées » et les liens entre les conflits ne sont pas clairement établis. On pourra lire sur la dimension régionale et historique les travaux de Gérard Prunier, René Lemarchand ou Gillian Mathys . Enfin, si le livre ne convainc pas, c’est aussi incontestablement en raison des trop nombreuses coquilles et problèmes d’ordre éditorial. Sur le plan formel, le livre présente des lacunes majeures qui le déforcent.