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Carine Dujardin et Claude Prudhomme (eds.), Mission & Science. Missiology Revised / Missiologie revisitée, 1850-1940. Leuven: Leuven University Press, 2015.

Anne Cornet, Musée royal de l’Afrique centrale

Cet ouvrage collectif, dirigé par Carine Dujardin et Claude Prudhomme, aborde la naissance et le développement d’une nouvelle science, la missiologie, qui figure au croisement de trois éléments essentiels : la science, la mission et la modernité. La missiologie est en effet décrite dans l’ouvrage comme un « projet de modernité », pendant les décennies où l’Europe dominait sans partage le reste du monde à travers ses divers empires coloniaux. L’ouvrage se concentre en effet sur une époque durant laquelle les missions étaient très largement populaires (ce dont témoignent la multiplication des vocations et la naissance de nombreuses sociétés religieuses visant l’outre-mer), et où leur rôle dans la diffusion de la modernité faisait l’objet d’un large consensus. Après la Seconde Guerre mondiale par contre, les mouvements d’émancipation dans les pays colonisés, mais aussi certains groupes d’opinion issus des pays colonisateurs allaient questionner la légitimité de ce modèle imposé (entre autres par le biais des religions importées) et de ses conséquences en termes d’acculturation et/ou de destruction des sociétés locales.

Divisé en trois parties, l’ouvrage aborde successivement l’émergence de la missiologie en tant que discipline scientifique ; ensuite les rapports que les missionnaires entretiennent avec les sciences et la place qu’ils leur accordent dans leur pratique ou dans leurs écrits et théories ; enfin les relations complexes tissées entre théorie et pratique.

De très nombreux chercheurs (22 au total) ont participé à ce projet ambitieux. Ils sont issus majoritairement du monde académique, une minorité d’entre eux étant par ailleurs rattachés à des sociétés ou églises missionnaires. Le sujet inspire visiblement des scientifiques du nord et de l’ouest de l’Europe (Pays-Bas, France, Suisse, Belgique, Allemagne, Suède), mais il associe également quelques plumes « excentrées » (Canada, Australie, Afrique du Sud). Etonnamment, les auteurs semblent tous issus du monde occidental, alors qu’aujourd’hui de nombreux supérieurs et supérieures de sociétés missionnaires sont issus de pays anciennement « missionnarisés », et que la logique de la mission s’est largement inversée. Par contre, l’ouvrage est original en ce qu’il fait cohabiter des historiens et des théologiens, apportant une dimension interdisciplinaire bienvenue.

La première partie souligne le rôle précurseur du monde protestant dans la réflexion et la construction d’une discipline scientifique de la mission, ce monde espérant répondre de la sorte de manière adéquate aux critiques de la société laïque. Cette première partie révèle également la contagion rapide dans le monde catholique, et l’appui du monde ecclésiastique et du Vatican (notamment le rôle important joué par les papes Benoît XV et Pie XI). Enfin, elle fait apparaître le caractère stimulant de la compétition entre monde réformé et monde catholique autour de la construction de la missiologie.

La seconde partie aborde les relations entre le travail missionnaire et les disciplines scientifiques. En quoi la science est-elle un outil utile voire nécessaire à l’action apostolique (notamment des disciplines encore jeunes comme l’ethnologie ou l’anthropologie, mais également la géographie ou la linguistique) ? En quoi le missionnaire peut-il servir la science (en alimentant en objets des musées en Occident, en collectant des données, en élaborant des dictionnaires linguistiques, des monographies ethnographiques, etc.) ? Comment le missionnaire conjugue-t-il science et apostolat ?

La dernière partie scrute l’interaction entre la théorie missiologique et la pratique, et montre comment la missiologie s’enrichit des pratiques missionnaires sur terrain, puis influence à son tour les hommes et femmes de terrain par ses avancées théoriques. Les contributions montrent par ailleurs comment la pratique missionnaire sert de laboratoire à la missiologie.

A travers ces divers angles d’analyse, l’ouvrage ne néglige pas le rôle de personnalités marquantes, des « missionnaires savants », qui ont influencé les sciences de leur époque, ni celui de la papauté, ou encore de grandes revues pionnières. Il ne néglige pas davantage la diversité des situations présentes dans le champ missionnaire, scrutant des organes et des terrains sur de plusieurs continents (émergence de la science missiologique en Europe du Nord, puis en Italie; expérience scientifique de missionnaires en Chine, Mongolie, Indonésie, Afrique australe, occidentale et orientale) ; interactions entre la théorie et la pratique dans un contexte asiatique et africain.

Enfin, et surtout, il ne fait pas l’impasse sur l’ambivalence des rapports entre science et mission, à savoir la contradiction inhérente à cette nouvelle discipline prise entre deux objectifs antagonistes : faire de la science, et donc observer une distance critique, et créer un outil au service de l’apostolat, immergé dans une réalité et une pratique. Diverses contributions scrutent les deux tendances concomitantes mais opposées de la mission entre le milieu du 19e siècle et 1940 : être agent de la modernité, mais aussi préserver une société traditionnelle des tentations antichrétiennes et des déviances du monde contemporain. Enfin, ce livre n’oublie pas d’évoquer l’instrumentalisation volontaire ou inconsciente des missionnaires savants qui alimentent les autorités coloniales en informations cruciales sur les populations dominées et servent dès lors le projet colonial.

Cet ouvrage novateur alimentera dès lors la réflexion de futurs chercheurs. Nous aurions cependant aimé y voir figurer l’une ou l’autre contribution abordant la position des premiers clercs africains ou asiatiques sur ces questions, et sur leur contribution à la construction de la science missionnaire. On songe notamment à la collaboration linguistique incontournable de certains Africains dans l’élaboration de dictionnaires linguistiques ou de traduction de textes sacrés (tel Tito Makundu pour la traduction en kikongo de la Bible du missionnaire suédois Laman), mais aussi à leur contribution précieuse dans la lecture de sociétés complexes, ou encore pour la connaissance des pharmacopées, de la faune et de la flore…

Par ailleurs, pour mesurer pleinement les enjeux de ce qui se joue entre 1850 et 1940, un contrepoint sur la période post-Seconde Guerre mondiale aurait été précieux. La dimension de genre pour ainsi dire inexistante, aurait pu être investiguée. Enfin, un dernier élément aurait sans doute mérité d’être davantage abordé : la manière dont cette nouvelle science fut perçue par le monde laïc dans son ensemble, et surtout dans le monde scientifique non religieux.

Il n’en reste pas moins que cet ouvrage ambitieux défriche et approfondit plusieurs dimensions essentielles de la période coloniale : l’irruption d’une modernité exogène, la place déterminante de la science et de la technologie dans les projets d’outremer, mais également le poids des projets religieux prosélytes dans la reconfiguration du monde contemporain.

- Anne Cornet