Axel Tixhon, Bénédicte Rochet, Lisa Lacroix, Souvenirs de ma captivité en Allemagne. 1914-1918. Carnet de dessins de Maxime Bourrée. Namur : Presses Universitaires de Namur, 2017.
Arnaud Charon, Archives générales du Royaume
Le centenaire de la Première Guerre mondiale touche bientôt à sa fin. Ces quatre dernières années ont permis de mener à bien de nouvelles recherches, éclairant des pans entiers de l’histoire de ce conflit qui demeuraient encore méconnus. L’intérêt pour cette guerre s’est également largement manifesté au sein du grand public. Ce moment de commémoration a ainsi donné l’opportunité de retrouver quantité de documents personnels de témoins directs de cet évènement majeur du 20ème siècle, au hasard de leur conservation par leurs descendants.
Cette publication, éditée sous la direction des historiens Bénédicte Rochet, Axel Tixhon et Lisa Lacroix de l’UNamur et réunissant les contributions de plusieurs spécialistes, présente en deux volumes le carnet de dessins de Maxime Bourrée. Le premier volume est consacré aux éléments biographiques de l’auteur, à la remise en contexte et à l’analyse de ce témoignage exceptionnel. Le second volume présente l’édition in extenso du carnet.
Maxime Bourrée (1892-1984) est né à Barenton, en Normandie. Sa petite-fille, Esther Bourrée, livre son histoire. L’historien pardonnera la subjectivité et l’encensement de son ancêtre, inhérents à ce type de contribution basée sur les souvenirs familiaux. Il se destine à la prêtrise, mais doit d’abord effectuer son service militaire de trois ans qu’il débute en 1912. Lorsque la guerre éclate, son régiment combat en Belgique où le jeune normand participe à la bataille de Charleroi. Il est blessé à Arsimont le 22 août et est soigné dans un hôpital à Charleroi. Il est envoyé fin décembre 1914 à Parchim, camp de prisonniers de guerre situé dans le Nord de l’Allemagne. Il y restera jusqu’à la fin du conflit. C’est durant sa captivité qu’il réalise les aquarelles présentées dans cet ouvrage.
Ce très beau travail d’édition est finalement, lui aussi, un peu le fruit d’un hasard, comme nous l’explique Etienne Grandchamps, historien et libraire à Charleroi. En effet, Maxime Bourrée avait tenu un carnet au début de la guerre. Il le perd dans les tourments de la bataille mais rédige une copie durant sa convalescence, agrémentée de quelques dessins. Publié dans les années 1970, l’original de ce second carnet disparaît. Préparant une conférence sur Maxime Bourrée pour un colloque organisé à Charleroi en août 2014, Etienne Grandchamps publie quelques extraits du second carnet en ligne, découverts par un descendant de Maxime Bourrée. Celui-ci en avertit sa cousine, Esther Bourrée, qui possède le carnet de dessins qui fait l’objet de cette publication.
Ce témoignage met en lumière la vie des prisonniers de guerre dans les camps, champ d’étude encore relativement peu exploré. Les premiers chapitres s’attachent entre autre à authentifier les témoignages et à vérifier la sincérité et la véracité de ceux-ci. Pour ce faire, Etienne Grandchamps indique l’analogie qui existe entre la fiche matricule, le Journal de Marche du Régiment de Maxime Bourrée, et son témoignage écrit durant sa convalescence. Axel Tixhon, quant à lui, se focalise sur la critique du carnet de dessins, notamment par le biais de l’analyse des soldats belges représentés par Maxime Bourrée. Il établit la fidélité des aquarelles par rapport, par exemple, aux évènements historiques, aux rapports publiés par la Croix-Rouge sur les conditions de détention des prisonniers en Allemagne après la visite des camps, ou encore par la comparaison de la photographie du monument funéraire érigé dans le cimetière de Parchim et de sa représentation par Maxime Bourrée. Le carnet est également analysé d’un point de vue matériel, par l’étude de sa reliure. Marie-Pascale Prévost-Bault, quant à elle, met en perspective ce document avec les collections de l’Historial de Péronne et l’analyse en dégageant les thèmes récurrents abordés dans ce genre de témoignages : l’occupation quotidienne, la création et l’artisanat, ainsi que les pratiques de la dévotion.
Les dessins de Maxime Bourrée représentent des scènes de vie quotidienne mais le carnet est constitué pour une large part de portraits. Le prisonnier devient en quelque sorte un ethnographe des camps, comme l’explique Erwan Le Gall. C’est le paradoxe de cette guerre : le monde se bat mais se rencontre aussi dans ces lieux de confinement. Et l’exotisme des soldats coloniaux et surtout des Russes fascine le jeune normand. Certains de ces portraits sont identifiés, d’autres sont simplement la représentation d’un « type » humain auquel il est confronté. Néanmoins toujours dans le souci du détail, comme le précise Pierre Lierneux qui démontre la conformité des uniformes dessinés par Maxime Bourrée. Il illustre également dans ses autres dessins les pratiques culturelles et les différences que l’on peut observer entre les conditions de captivité des différentes nationalités. Il croque ainsi une véritable société des camps, créée par ce brassage des populations jusqu’alors inconnu.
Enfin, une ultime affirmation de l’intérêt du carnet de Maxime Bourrée comme source à part entière pour l’histoire des camps de prisonniers de guerre est fournie par Pierre-Alain Tallier. Il pose la question des circuits d’approvisionnement dont jouissaient les artistes dans les camps, mais surtout de la motivation même de Maxime Bourrée. Il décèle une volonté de témoigner et en prend pour preuve les notes qu’il prend durant sa convalescence, tout en s’étonnant de l’absence d’un carnet écrit durant sa captivité, qui aurait pu compléter le carnet de dessins. Il compare néanmoins ce document aux cahiers du prisonnier belge Victor Vanden Abbeelen1 et relève les analogies présentes dans les expériences de ces deux personnes qui ne se sont pourtant jamais rencontrées, nous permettant de considérer cette source comme un témoignage visuel fiable et représentatif de la vie des prisonniers de guerre durant la Première Guerre mondiale.