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Debackere, Ellen, Welkom in Antwerpen? Het Antwerpse vreemdelingenbeleid, 1830-1880 (Leuven : Universitaire Pers Leuven, 2020), 280 p.

Mazyar Khoojinian, chargé de recherche FNRS-ULB

Ces dernières années, l’histoire de l’immigration dans la Belgique du XIXe siècle connaît un regain d’intérêt significatif comme en témoignent les recherches menées dans le cadre du projet « Immibel » ou encore les travaux récemment initiés sur les rapports entre police et migrants1. Dans cette nouvelle historiographie en gestation, le livre d’Ellen Debackere sur la politique des étrangers dans la ville d’Anvers de 1830 à 1880, tiré d’une thèse de doctorat réalisée en cotutelle entre l’Universiteit Antwerpen et la VUB, constitue indéniablement un jalon majeur. Les études réalisées jusqu’ici sur l’histoire des politiques migratoires de la Belgique du “long XIXe siècle” s’étaient, pour l’essentiel, cantonnées au seul échelon national, en se concentrant sur l’évolution des législations en matière de police des étrangers, de naturalisation ou de domicile de secours, les débats parlementaires suscités par le traitement réservé aux réfugiés politiques et l’action de l’administration de la Sûreté publique. La mise en œuvre pratique de ces réglementations sur le terrain et les spécificités locales dans l’appréhension et la régulation des flux migratoires dans un système politico-institutionnel caractérisé par une forte autonomie communale furent, quant à elles, le plus souvent négligées, sinon ignorées. Cette lacune historiographique était d’autant plus préjudiciable qu’elle empêchait toute perspective comparée des politiques conçues et mises en application tout au long du XIXe siècle, période caractérisée par un processus d’étatisation et de nationalisation des flux migratoires, avec celles élaborées et régies essentiellement sur base de règlements municipaux dans les siècles précédents.

De ce point de vue, la ville d’Anvers représente une étude de cas des plus pertinentes. Durant la période considérée, le développement à dimension internationale de ses activités portuaires l’amène, en effet, à accueillir à la fois un nombre croissant d’entrepreneurs, de négociants et de travailleurs étrangers et un trafic de transit, plus important encore, d’émigrants à destination des États-Unis, en particulier à partir de la constitution de la compagnie maritime Red Star Line en 1872. Dans le cadre de son étude, basée principalement sur les archives de la ville et du CPAS d’Anvers, Ellen Debackere interroge l’évolution des grandes lignes directrices de l’action des autorités locales envers les immigrants nés à l’étranger à travers les quatre leviers administratifs de contrôle que constituent leur inscription, leur identification, les secours publics qui leur sont éventuellement dévolus et leur éloignement du pays. Si la politique d’immigration des autorités anversoises ne fut pas de nature à susciter le débat ou la polémique, il eût cependant été utile de rappeler l’hostilité ouvertement manifestée par le Meetingpartij, notamment à l’occasion des débats parlementaires relatifs à l’extension des critères d’octroi de la grande naturalisation en 1881, à l’égard d’une présence allemande toujours plus influente sur le plan socioéconomique, contribuant, suivant le parti catholique anversois, à renforcer par ailleurs la francisation de la Métropole2. Le fait que la « colonie prussienne » et ses catégories socioprofessionnelles (jeunes employés et stagiaires) les plus stigmatisées par l’opposition municipale correspondent aussi à celles qui, sur le plan statistique, sont les plus soumises aux mesures d’éloignement du territoire prises par la police communale serait-il purement fortuit ? En complément aux sources locales minutieusement analysées, les archives consulaires des principaux pays de provenance auraient également pu être d’un apport précieux, surtout en regard des plaintes adressées par les corps diplomatiques et consulaires à l’administration de la Sûreté publique.

Le travail d’Ellen Debackere n’en demeure pas moins riche et innovant. Au fil des chapitres, il montre à quel point le XIXe siècle constitue une période charnière d’expérimentation en matière de régulation administrative des migrations. Tout en gagnant en régularité, en efficacité et en autonomie, la gestion migratoire au niveau urbain reste largement déterminée par des notions d’appartenance locale remontant au début de la période moderne. Cette politique se traduit entre autres, en matière d’admission au séjour, par une préférence accordée aux immigrants d’origine rurale en provenance des régions limitrophes, et en matière d’assistance publique, aux familles ouvrières à faible qualification d’origine néerlandaise établies de longue date dans la ville. Bien que la loi sur le domicile de secours de 1845 affecte au budget de l’État la charge financière des aides accordées aux étrangers par les bureaux de bienfaisance au niveau local, tout en prévoyant l’éloignement du territoire des indigents étrangers, 35 % des étrangers secourus à Anvers au cours de l’année 1855 le sont depuis une à cinq années. Parmi bien d’autres faits saillants, cet exemple permet de mettre en évidence la dépendance du pouvoir central à une collaboration effective, mais non garantie, des différentes incarnations du pouvoir local (bourgmestre, police, bureau de bienfaisance). Essentiellement mue par des contingences d’ordre socioéconomique, la politique migratoire anversoise n’accorde aucune importance aux motifs d’ordre politique qui conditionnent les décisions de la Sûreté publique en matière d’autorisation de séjour. Les marges de manœuvre dont disposent les autorités communales en termes de récolte et de communication des renseignements, mais aussi des avis demandés par la Sûreté publique pour statuer sur ces autorisations, leur permettent en outre d’y ajouter des critères de sélection prévus ni par la réglementation ni par ses circulaires d’application, à l’instar du traitement réservé aux juifs étrangers de condition modeste, souvent soumis à de simples autorisations de séjour provisoires et révocables. Enfin, la politique des étrangers à Anvers entre 1830 et 1880 nous convie à reconsidérer aussi bien le caractère « brutal » de la politique d’immigration belge avant 1860 que son caractère « libéral » après la suppression de l’obligation des passeports entre la plupart des pays européens. Profitant de la faiblesse des contrôles aux frontières, un peu plus d’un immigrant étranger sur six arrivés à Anvers sans papiers en 1850 parviennent néanmoins à se faire enregistrer et à régulariser leur séjour contre à peine 3 % trois décennies plus tard. À l’inverse, près d’un immigrant étranger sur six arrivant à Anvers en 1880 se retrouvent contraints de régulariser leurs papiers avant tout permis de séjour, contre 8 % de leurs prédécesseurs trois décennies auparavant. D’une façon plus générale, la démocratisation de migrations venant de contrées de plus en plus éloignées et la grande dépression de 1873-1896 entraînent un renforcement des procédures d’identification et un accroissement significatif des refoulements aux frontières se déclinant au gré des priorités locales. Dans cette optique, on ne peut que souhaiter que cette étude pionnière puisse inspirer d’autres projets de recherche sur d’autres types d’agglomérations.

- Mazyar Khoojinian

Referenties

  1. Feys, Torsten, « Immibel : l’immigration en Belgique au XIXe siècle », Revue d’Histoire du XIXe siècle, LVII, n°2 (2018) : 126-128 ; Erkul, Ayfer, « Politie en migranten : twee geschiedenissen die onlosmakkelijk verbonden geraakten », Contemporanea, XL, n° 2 (2018); Van Vyve, Maïté « Over grenzen : een historiografie van Belgische immigratie en politiegeschiedenis (1880-1914) », Contemporanea, XLII, n° 2 (2020).
  2. Saerens, Lieven, Vreemdelingen in een Wereldstad. Een geschiedenis van Antwerpen en zijn joodse bevolking (1880-1944) (Tielt: Lannoo, 2000), 77-78.