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Suenens, Kristien, Humble Women, Powerful Nuns. A Female Struggle for Autonomy in a Men’s Church (Leuven: Leuven University Press, 2020), 380 p.

Sarah Barthélemy, Saint-Louis - Bruxelles

Le livre de Kristien Suenens, tiré de sa thèse de doctorat soutenue au KADOC (KULeuven), remet en évidence l’importance historique des religieuses catholiques du XIXe siècle, ce siècle des bonnes sœurs, et enrichit la littérature sur les congrégations religieuses apostoliques féminines, en posant la question de la spécificité belge par rapport aux autres espaces nationaux. Il s’agit d’une quadruple biographie critique et comparative, analysant tant les opportunités que les obstacles rencontrés par des fondatrices issues de milieux privilégiés belges : Anna de Meeûs (1823-1904) pour l’Institut de l’Adoration Perpétuelle, Fanny Kestre (1824-1882) pour les Dames de Sainte-Julienne – Apostolines du Très Saint Sacrement, Antoinette Cornet (1820-1886) pour les Sœurs du Saint-Cœur de Marie, et Wilhelmina Telghuys (1824-1907) pour les Dienstmaagden van de Heilige Harten van Jezus en Maria.

L’analyse s’articule autour d’une triple approche (biographique, contextuelle et comparative) ayant comme objectif la compréhension de la situation paradoxale dans laquelle se trouvent ces quatre fondatrices, entre développement de leur agency (marge de manœuvre d’un individu face aux normes) et inéluctabilité des structures patriarcales de l’Église. Partant des utilisations du double-voiced discourse (p. 24-26), c’est-à-dire un discours stratifié dans lequel se donne à lire une deuxième voix, discrète ou cachée, le livre repose sur une approche double-voiced que Kristien Suenens applique aux textes, aux contextes et aux réseaux entourant les fondatrices (p. 24-28). Par exemple, les lettres de Meeûs à l’archevêque Sterckx sont saturées de soumission et de gratitude, tout en requérant implicitement l’approbation de son rapport annuel (« Nous désirons […] ne pas faire poursuivre l’impression de notre rapport sans l’avoir soumis à [votre Eminence] », p. 84). L’autrice recourt à des sources variées (ego-documents, correspondances, annales, textes normatifs) de divers fonds d’archives (religieux, familiaux, publics, belges, romains, etc.), révélant toutes les ambiguïtés présentes dans les trajectoires des quatre religieuses choisies.

Les trois parties du livre suivent un plan chronologique (1820-1860, 1857-1867 et 1865-1885). À chaque étape, Kristien Suenens compare la situation belge, où dès 1830 l’État offre un cadre propice au développement de la vie religieuse féminine, du fait de ses besoins socio-économiques pressants, à celle d’autres pays occidentaux qui lui envient cette « liberté » (p. 247). Elle montre comment, dans la seconde moitié du siècle, face à l’ultramontanisme, les fondatrices ont à la fois des opportunités de développer une activité intégrée aux luttes ultramontaines, et des difficultés à échapper aux ordres d’une Église militante (p. 239).

À travers des tableaux successifs, Kristien Suenens montre que la division genrée des tâches de la société bourgeoise reste bien ancrée dans les fondations (que ce soit dans l’association de Meeûs, autour de la figure de « l’ange du foyer », ou dans l’apprentissage proposé par Telghuys d’un métier « approprié »). Meeûs, Kestre, Cornet et Telghuys ne manient pas le double-voiced discourse avec la même aisance, mais elles imbriquent toutes leurs demandes dans un discours d’abnégation, d’humilité ou de soumission. C’est en adhérant à ce discours clérical dominant, qui pourtant renforce le contrôle sur les religieuses et les entraves à leurs entreprises, qu’elles valorisent leurs propres actions et neutralisent la compétition (comme Cornet qui souligne l’absence d’obéissance des Sœurs du Saint Cœur de Marie à Alsemberg pour éviter toute fusion avec elles).

L’épilogue envisage la postérité hagiographique de ces quatre fondatrices, que leurs congrégations ne sont pas parvenues à porter sur les autels. Les espaces d’autonomie ponctuels qui ont été créés par les fondatrices n’ont pas changé les normes de genre de l’Église, ni les vertus à l’aune desquelles Rome évalue la sainteté féminine. Toutefois, et ce point aurait mérité davantage de développement, l’autrice suggère que le genre constitue un enjeu peu significatif des procédures de béatification et de canonisation amorcées pour certaines des fondatrices, en s’appuyant sur les Vies d’hommes fondateurs de congrégations, eux aussi soumis aux impératifs d’humilité, d’abnégation et de souffrance (p. 314).

En jouant le jeu des faiblesses et caractéristiques qui leur sont attribuées afin de mener leurs projets à bien, ces fondatrices confirment les rapports de genre traditionnels bourgeois. Contrairement aux femmes mariées cependant, elles peuvent changer leurs alliances, disposant d’espaces de pouvoir et d’autonomie grâce à la vie religieuse et à leur propre action. Ces espaces sont hors de portée des sœurs ordinaires (par exemple, en insistant sur la distinction entre sœurs laies et sœurs de chœur, les fondatrices confirment implicitement l’infériorité des tâches domestiques, vues comme typiquement féminines). Les fondatrices ne sont pas au service d’une cause féministe, mais d’une croisade défendant un monde chrétien.

L’autrice explore le genre dans sa dimension relationnelle ; il serait intéressant de voir ce que ces quatre dossiers peuvent révéler d’un point de vue institutionnel sur les configurations des rapports de genre au sein de l’Église (évoquées brièvement dans les voyages romains de Meeûs, p. 294-301).

Ponctué de portraits et de cartes postales en provenance des archives, ainsi que d’une bibliographie très complète, ce livre fait entrer en résonnance les choix des fondatrices avec la succession des contextes catholiques du XIXe siècle. Humble Women, Powerful Nuns propose avec nuance et finesse une histoire des tensions et des paradoxes qui traversent ce groupe élitiste de fondatrices, parvenues à une position de pouvoir, constamment renégociée, au sein d’une Église d’hommes.

- Sarah Barthélemy