×

Foutmelding

  • Warning: Illegal string offset 'header' in bvng_publicatie_header_view() (regel 797 van /home/spinternet.be/users/contemporanea/public_html/sites/all/modules/custom/akapivo/bvng/bvng.module).
  • Notice: Array to string conversion in bvng_publicatie_header_view() (regel 797 van /home/spinternet.be/users/contemporanea/public_html/sites/all/modules/custom/akapivo/bvng/bvng.module).
  • Warning: Illegal string offset 'header' in bvng_publicatie_header_view() (regel 807 van /home/spinternet.be/users/contemporanea/public_html/sites/all/modules/custom/akapivo/bvng/bvng.module).
  • Notice: Array to string conversion in bvng_publicatie_header_view() (regel 807 van /home/spinternet.be/users/contemporanea/public_html/sites/all/modules/custom/akapivo/bvng/bvng.module).

Michel Dumoulin: Regards sur les mondes de la recherche et de l’histoire

Vincent Genin

Michel Dumoulin (°1950), professeur émérite de l’Université Catholique de Louvain et membre de l’Académie royale de Belgique

Vincent Genin : Une première chose apparaît au lecteur de vos travaux, c’est votre goût de la littérature. Quelle place cela occupe dans votre travail et dans votre vie ?

Michel Dumoulin : Le recours à la littérature ne relève pas d’une forme de pédanterie. L’histoire est une science humaine. C’est un réceptacle de faits, d’évènements de toute nature. Que ce soit l’histoire des femmes, de la criminalité, de l’alimentation, le phénomène est global. Or, une des formes d’expression de cette réalité d’un temps donné, de sa perception, des attentes et des déceptions dont il est le théâtre, passe par la littérature, qui est une fiction mais aussi le fruit de l’expérience des auteurs, de leur mémoire. Dès lors, la littérature fictionnelle, y compris policière, devient une source extraordinaire du ressenti des individus, et cela la transforme en témoignage. La littérature policière amène à une lecture sociologique.

VG : Avez-vous toujours beaucoup lu ?

MD : J’ai lu tôt bien que certaines œuvres exigent la maturité. Comme l’histoire des mentalités dont Génicot disait qu’il fallait avoir vécu pour en faire. J’occupais une partie du temps, au collège où j’étais interne, à lire, non sans une certaine envie de provoquer. C’était l’époque de Vatican II. Même si le caractère obligatoire de l’Index a été abrogé en 1966, celui-ci servait encore de guide moral. Nous devions faire viser une « carte de lecture ». Julien Green n’était pas en odeur de sainteté, pas plus que Mauriac. Pour ne citer qu’eux. J’ai souvent été pris la main dans le sac par mon préfet de discipline, auquel je dois toutefois beaucoup. Un professeur de littérature m’y a donné un vrai goût de la lecture. Puis, un autre facteur, c’est l’Italie. Passant mes vacances d’été d’enfance et d’adolescence dans la Péninsule, j’ai eu l’occasion d’intégrer la langue italienne rapidement, et de découvrir sa littérature, non sans y être incité par mon père. Enfant, je lisais Topolino, la version italienne de Mickey. Adolescent, je me suis mis à la lecture de la troisième page du Corriere della Sera du samedi, qui était consacrée aux Lettres, et, vers 1966-1967, j’ai été passionné par Il Mestiere di Vivere de Cesare Pavese. Cela ne peut que toucher à un âge « rimbaldien » !

“Il Mestiere du Vivere”, de Cesare Pavese, paru en 1952

VG : La lecture de fictions semble favorable au développement de l’imaginaire de l’historien. Cela peut-il, par exemple, lui donner la capacité à formuler des hypothèses, qui semblent de moins en moins convoquées dans les travaux ?

MD : Nous pâtissons, à ce titre, d’une lacune épistémologique. Il faudrait souvent rappeler le quintette : Qui ? Quoi ? Où ? Comment ? Pourquoi ? Et revenir à la phrase de Ranke : wie es eigentlich gewesen ist. Je dois à cet égard beaucoup à Henri Haag, spécialisé en histoire politique belge et des relations internationales, un des rares à avoir emprunté à la science politique, mais aussi à l’épistémologie de Karl Popper et de l’école de Francfort. Il attachait de l’importance à l’analyse contrefactuelle et nous a initiés aux modèles de Dahl ou de Duroselle.

VG : Comment écrivez-vous ?

MD : C’est parfois très douloureux. Contrairement aux apparences. C’est comme mon naturel réservé. Le trac de l’acteur devant l’auditoire, je le connais. Pour l’écriture, il y a des périodes « avec » et d’autres « sans ». Des périodes de sécheresse et de fertilité. Je ne suis jamais content de moi. Je retravaille beaucoup, ce qui me prend du temps. Je suis attentif à la syntaxe, à un minimum de style, bien que celui-ci soit parfois fait de tics. Je ne possède pas le talent du premier jet définitif. Je ne connais pour ainsi dire pas d’historien de métier qui dispose de la capacité à produire de la fiction historique. Certains amis m’avaient poussé dans ce sens. Je bloque ; je n’arrive pas à me détacher de l’exactitude de l’information, un peu entomologique. Puis, nous, les historiens, on nous a aussi coupés de notre capacité d’imaginaire, au cours de notre formation. Ai-je peur du lecteur et de mes pairs ? J’ai surtout la crainte d’être mal compris, donc mal jugé. Mais je ne crains pas la contradiction. Je me souviens d’une passe d’armes, dans ma jeunesse, avec Robert Van Nuffel, autour de mes Souvenirs des temps de guerre de Jules Destrée, parus en 1980. J’avais demandé à la Revue belge de Philologie et d’Histoire, dans laquelle son compte-rendu peu amène avait été publié, d’exercer mon droit de réponse. Ce qui fut fait. Il était au vitriol. Mais j’avais totalement oublié cette affaire jusqu’il y a très peu de temps.

VG : Jean-Baptiste Duroselle, un des pères de l’école française d’histoire des relations internationales, critiquait « l’histoire mercantile ». Toutefois, pensez-vous qu’il soit possible de trouver une troisième voie entre ces historiens jugés « opportunistes » et ceux qui prétendent être des « Gardiens du Temple », se réclamant d’une pureté souvent prise en défaut ?

MD : En somme : être un rat de bibliothèque ou un communicateur ? L’alchimie n’est pas aisée. Nous cherchons tous le Graal ! En amont, le travail doit se faire de manière radicale : enquête heuristique, respect des principes de la critique et préoccupation d’une bonne reconstruction du récit historique. En aval, la propension à communiquer. En aval toujours, le piège est grand ouvert de tomber dans le souci d’expliquer le complexe de manière simpliste, dans le souci de caresser le public dans le sens du poil. Prenons les cas de Max Gallo et de Pierre Milza. Gallo a soutenu une excellente thèse de troisième cycle, à l’Université de Nice, en 1968, sur la propagande fasciste dans l’immédiat avant-guerre. Une myriade de publications de valeur très inégale a suivi. En revanche, Milza, également spécialiste de l’Italie, docteur d’État, qui s’est ouvert lui aussi au grand public, a écrit un Verdi¬, un Mussolini et récemment un Garibaldi¬ qui sont le reflet des qualités qu’il n’a pas cessé de démontrer depuis plus de 40 ans dans le cadre de son métier de chercheur. La communication ne doit pas galvauder la recherche de la qualité. Elle doit aussi se nourrir d’une forme de bienséance qui consiste à ne pas enfumer le lecteur. La troisième voie à laquelle vous avez fait référence passe aussi par une multiplication et une diversification des curiosités. Un bel exemple de cet exercice susceptible d’attirer les critiques est l’œuvre de Jean Stengers qui a refusé de se laisser enfermer dans un champ clos et d’y tourner en rond. J’ai tenté moi aussi, non sans avoir conscience de mes limites, de m’inspirer de cette démarche. Nous avons le plus grand besoin de généralistes.

Jean-Baptiste Duroselle

VG : Mais l’hyperspécialisation semble aujourd’hui avoir été intégrée par les chercheurs, dont beaucoup semblent épouser les demandes successives des organismes subsidiants, au détriment d’une cohérence scientifique.

MD : La première posture est celle de l’anachorète. Elle est peu réaliste. La réalité se charge de le faire revenir sur terre. Quid, en revanche, de la réponse à apporter à une sollicitation externe ? C’est tout le problème de l’histoire appliquée. J’ai été conduit à contribuer à des projets successifs qui ne s’inscrivaient pas nécessairement dans un axe prédéfini et, donc, en principe, plus cohérent. La pratique de l’histoire appliquée varie d’un individu à l’autre, suscite de la part de certains des critiques acerbes. Dans mon cas, cela a toujours été lié à des contrats de recherche d’origine publique et privée. Je n’en ai jamais été le bénéficiaire à titre personnel, notamment parce que je tenais par-dessus tout à préserver ma liberté de chercheur. Par contre, ces contrats dont le montant financier a été souvent très élevé ont permis de créer une équipe de recherche importante, soutenue par des moyens administratifs conséquents. Ceci dit, c’est plus facile à dire qu’à faire et il faut du temps. En outre, cela peut avoir un effet pervers attendu que les institutions publiques soutenant la recherche ont tendance à se dire que tel ou tel centre se débrouille fort bien tout seul ! Enfin, il est évident qu’il faut être extrêmement vigilant afin de ne pas succomber à la tentation d’accepter un contrat sur la seule base des recettes financières qu’il promet. En ce qui me concerne, je dirais que de l’ensemble de mes travaux se dégage une certaine cohérence : un côté « extraverti » (l’histoire des relations internationales) et un autre « autocentré » (le point d’ancrage belge), avec un goût pour l’histoire des entreprises. Mais cela n’est pas délibéré, c’est plutôt une expression sur le long terme de ma nature, de mes goûts mais aussi d’opportunités qui se sont présentées et que j’ai saisies. Le hasard en histoire existe, je l’ai rencontré !

VG : Avez-vous « fait école » ?

MD : J’ai contribué à former le mieux possible les futurs historiens. Mais aussi des étudiants en sciences économiques, politiques et sociales, des étudiants de 1ère candidature puis 1er Bac en droit, de dernière année d’ingéniorat commercial sans oublier ceux en études européennes aussi bien à l’UCL qu’aux Facultés universitaires Saint-Louis. Ma satisfaction, en 2016, c’est de recevoir des messages, parfois venus de loin, d’anciens étudiants devenus des personnes à responsabilités, qui me recontactent après m’avoir lu ou entendu. Beaucoup me disent avoir jadis ou naguère apprécié mon enseignement. J’exerce bien entendu mon esprit critique au sujet de ces appréciations fort gratifiantes. Il doit néanmoins il y avoir une part de vérité dans ces aimables propos. Un de mes collègues relevait en 2013, lors de mon éméritat, que les anciens étudiants étaient décidément très nombreux et ajoutait : « c’est un signe qui ne trompe pas ! ». Je peux dire en mon âme et conscience que je faisais l’impossible, comme d’autres évidemment, pour être disponible comme professeur mais aussi en tant que promoteur de mémoires et de thèses. Le principe qu’il ne faut pas perdre de vue est que nous sommes rétribués grâce aux deniers publics. Certains l’oublient parfois. Au plan moral, j’ai essayé d’appliquer les devises scoutes : faire « de notre mieux », être « toujours prêt » et « servir ». Je sais que cela peut paraître ringard mais à cet égard la réaction des autres m’indiffère complètement. Servir les étudiants et les chercheurs, c’est aussi servir sa discipline. Par contre, servir ne consiste pas à se transformer en laquais voire en démagogue. Tout ceci me fait perdre de vue que vous me demandiez si j’ai fait école ? Je réponds par la négative. J’ai contribué à former deux générations de chercheurs parmi lesquels un bon nombre sont confirmés. J’ai sans doute contribué aussi à permettre à plusieurs dizaines de chercheurs de découvrir ou approfondir la subtile alchimie qu’il faut cultiver entre projet individuel et projet collectif, entre nécessaire et légitime ambition personnelle et jeu collectif. C’est à la fois un processus Win Win, l’occasion de beaucoup partager en s’amusant – et il est essentiel de s’amuser – et un exercice pratique, fort modeste il est vrai, de gestion de la Cité. Mais je n’ai pas fait école.

VG : Il y a toutefois l’Institut d’études européennes, que vous avez présidé (1994-2004), le comité directeur de l’Institut historique belge de Rome (2001-2009) et le CEHEC, que vous avez dirigé de 1987 à 2012 ?

MD : Oui, c’est un projet de type entrepreneurial. Dans la foulée de ce que je viens de dire, je tenais à ce que les tout jeunes et les aguerris coopèrent et trouvent leur compte. Donner une visibilité aux jeunes en les encourageant à publier, à participer à des colloques et séminaires, à voir leur nom figurer en tant que codirecteur ou codirectrice d’un ouvrage collectif était important aussi. C’est aussi l’occasion de nouer des liens, tisser des réseaux, mais à une condition : bien que chacun bénéficiait d’une grande liberté d’initiative, il était crucial que l’information soit partagée afin de conserver la solidarité du groupe. Le goût du secret n’y avait pas sa place, mais simplement une forme de discrétion de bon aloi afin, par exemple, de ne pas faire naître des attentes irréalistes avant qu’un contrat ne soit signé. Il faut aussi éviter, dans ce genre de dynamique, que le patron ne marche trop en binôme avec un « petit génie », au risque de dégrader l’ambiance collective. Enfin, je voudrais répéter, au risque de lasser, que la liberté de chacun conjuguée au souci du bien commun constitue un défi. Le fait de le relever victorieusement est source de joie.

VG : On a l’impression que vous avez toujours aimé la gestion d’équipe.

MD : Adolescent, j’aimais organiser. Il y a eu le scoutisme, qui a joué, mais aussi mes longues années de pratique sportive. Beaucoup de mes prédécesseurs agissaient seuls dans leur sphère, non sans aider les jeunes méritants, comme Haag ou Léopold Genicot, avec lequel j’ai eu de bons rapports. Quant au Chanoine Aubert à qui je dois tant, il avait un goût plus accentué pour la liberté du chercheur. Quant à l’intérêt pour l’Afrique centrale, il vient de Jean-Luc Vellut, revenu de Lubumbashi au milieu des années 1970. Ses contacts avec le monde anglo-saxon étaient nombreux. Il a une grande culture littéraire, un grand intérêt pour la philosophie de l’histoire et Aubert, comme en d’autres circonstances, ne s’est pas trompé en me dirigeant vers lui. Chargé, sous sa direction, de l’encadrement du séminaire d’histoire de l’Afrique, j’y ai vraiment beaucoup appris tout en y puisant la conviction que, décidément, il est impératif que les étudiants, les chercheurs et les enseignants ouvrent une fenêtre sur l’histoire de l’Autre.

VG : Toutefois, vous apparaissez comme un profil assez marginal dans le milieu des contemporanéistes belges…

MD : C’est assez vrai. J’ai une certaine image de marginalisé, que je n’ai pas cherchée. Mes liens avec la société civile et ma propension à rechercher des moyens de financer des projets n’ont pas dû plaire à tout le monde. Puis, en plus de ma charge d’enseignement et de nombreuses tâches administratives, j’avais tendance à me consacrer aux contacts avec de possibles contractants, à faire travailler mes chercheurs, plutôt qu’à courir les colloques. Enfin, j’étais plus à l’étranger qu’en Belgique du fait de mes pôles d’intérêt. La réponse à votre question pourrait prendre la forme d’un vieil adage : « Les absents ont toujours tort ». Cela dit, je veux préciser qu’il n’était pas question de « snober » mes collègues car fort heureusement les « beaux parleurs pour ne rien dire » ou encore ceux qui ont l’invective facile du fait d’un ego à fleur de peau ne constituent qu’une très faible minorité d’entre nous.

VG : Vous sortez diplômé de l’UCL en 1975 et soutenez votre thèse (1981) sur les relations belgo-italiennes de 1861 à 1914. L’on est impressionné par votre force de travail. Vous souvenez-vous en ?

MD : Disons que « j’en voulais ». On a parfois tendance à idéaliser certaines périodes de la vie. Celle-ci n’y échappe pas. J’ai saisi quelques chances offertes, et j’avais la foi dans mon travail vécu avec passion. Plusieurs choses m’occupaient par ailleurs : le scoutisme, le sport, l’écriture – j’ai publié à l’époque un recueil de poésies chez Henry Fagne où j’ai souvent eu l’occasion de rencontrer toute une série d’écrivains belges – et aussi des tâches plus représentatives dans le cadre estudiantin. Mais ceci n’a été le cas qu’aux FUSL. J’en garde le souvenir de deux mobilisations. La première était relative aux étudiants étrangers en situation irrégulière que le ministre de l’Intérieur, Vranckx, voulait expulser. Suite au tollé provoqué, en 1970, par cette intention, une commission sur le statut des immigrés avait été instaurée par le gouvernement. Elle était présidée par Henri Rolin. Elle remit ses conclusions en février 1972. Ce sont elles qui allaient conduire au projet de loi Vanderpoorten de 1975 et, plus tard, à la loi Moureaux de 1981. Je me suis beaucoup investi à ce sujet en 71-72. Mais mon principal investissement s’est situé dans le cadre des projets de loi Claes-Hurez consécutifs à la loi de juillet 1971 relative au financement et au contrôle des institutions universitaires. C’est dans ce contexte qu’avec le juriste Francis Delpérée qui était alors jeune chargé de cours aux FUSL, et encouragé par le recteur Mgr Van Camp, j’ai proposé d’étudier de près cette matière complexe afin de savoir plus précisément pourquoi nous manifestions et ce que nous espérions voir changer. Cela a marché. Nous nous réunissions en soirée entre étudiants de plusieurs disciplines en compagnie d’une série d’enseignants, essentiellement des juristes, qui nous donnaient les clés de compréhension de textes dont beaucoup de monde parlait sans les avoir lus. Ce fut une magnifique expérience aussi bien sur le plan intellectuel qu’humain et, en définitive, politique.

VG : Puis vient le moment où les choses s’accélèrent : la thèse, l’étude de l’Italie et les rapports avec Duroselle, le « Pape » de l’histoire des relations internationales.

MD : En effet. Á la fin de 1974 ou au tout début de 1975, à l’heure où j’entre dans la période de rédaction de mon mémoire sur la carrière diplomatique de Maximilien d’Erp (1868-1915), le Chanoine Aubert, dont la bienveillance à mon égard n’a jamais été prise en défaut, me demande si je connais l’italien et le néerlandais. Je réponds par l’affirmative. Il me propose de partir pour Rome, une fois ma licence terminée, avec une bourse de l’Institut historique belge de Rome dans le cadre d’un projet belgo-néerlandais. Je suis un peu abasourdi. D’accord avec mon épouse qui a été formée en histoire de l’art à l’ULB, chez Charles Delvoye, et qui bénéficiera, elle aussi, d’une bourse de l’IHBR, j’accepte la proposition. Le Chanoine Aubert avait bien connu Jean-Baptiste Duroselle, dont le rayonnement dépassait largement la sphère francophone. Lors d’un de mes très rares retours en Belgique pendant ma « période romaine », je rends visite au chanoine Aubert. Ce devait être en mai 1976. Parlant de ma thèse, il me suggère d’aller voir Duroselle à Paris, et me recommande à lui. J’avais déjà lu l’Introduction à l’histoire des relations internationales, parue en 1964. Je suis donc allé voir Duroselle. « Venez donc à certains de mes cours » me dit-il. Je suis allé l’écouter et, un samedi de mai 1977, j’assiste à la soutenance de thèse de Pierre Milza qui fera partie de mon propre jury de thèse…C’est à cette occasion que je rencontre aussi pour la première fois le diplomate Sergio Romano qui sera directeur général des relations culturelles internationales à la Farnesina (Ministère italien des Affaires étrangères), et dont je suis resté proche. Il nous aidera beaucoup lorsque, en 1980, nous lancerons la nouvelle mouture de la revue Risorgimento. Je dois également beaucoup à Jacques Willequet, de l’ULB, qui m’envoie dès 1978 à un colloque sur l’impérialisme, à l’École Française de Rome et qui, en 1982, avance mon nom pour représenter la Belgique au sein du Groupe de liaison des historiens auprès de la Commission européenne. C’est le début de mes travaux consacrés à l’histoire de la construction européenne, toujours en cours aujourd’hui.

Émile de Laveleye (1822-1892)

VG : Terminons par votre « madeleine » personnelle et un projet en cours. C’est de cette époque que date votre passion pour l’économiste liégeois du XIXème siècle Émile de Laveleye.

MD : Tout à fait, et cela faillit me jouer des tours. Il y a eu un coup de cœur. Jacques Lory qui avait été mon professeur à Saint-Louis m’avait communiqué les Lettres d’Italie d’Émile de Laveleye. J’étais alors en première licence. Je les lis, commence à me renseigner sur l’auteur et suis sidéré par le personnage. Je suis pris d’une frénésie et j’inonde le monde, tous les pays, de lettres adressées aux instances et personnes susceptibles de posséder des archives de de Laveleye. Si bien que j’ai négligé, en deuxième licence, la période des examens : comment avouer à Léopold Génicot, dont j’avais réussi sur le fil le cours d’Institutions du Moyen-Âge, que j’avais consacré mon blocus…à de Laveleye. J’ai écrit plusieurs travaux sur lui. Il reste que nous manquons toujours, aujourd’hui, d’un grand travail sur ce personnage que je considère comme hors du commun. C’est pourquoi je me suis mis au travail en vue de la rédaction d’un ouvrage qui lui serait consacré à l’occasion du bicentenaire de sa naissance, en 2022. Son éclectisme, sa finesse, sa clairvoyance, sa prise en compte des nationalités, son protestantisme libéral, son intérêt pour les arts et la littérature – sa traduction des Niebelungen fait encore autorité – en font un inclassable. Ce qui explique sans doute qu’il n’a pas fait école. Voici donc à quoi je m’attèle actuellement.

- Vincent Genin