MeNePolHis, l’histoire de la police au cœur du numérique

Vincent Mazy, UCLouvain

La police, pilier essentiel de la sécurité publique, est une entité multiforme aux réalités polysémiques. Ses logiques, ses structures, ses missions, ses pratiques, ses acteurs et sa représentation se doivent d’être commentés et approchés avec précaution. A la fois dans un objectif d’historicisation de ses documents – qui témoignent de son action d’hier et d’aujourd’hui –, mais aussi afin de réfléchir de manière informée et critique face aux enjeux contemporains tels que la légitimité et la responsabilité de l’action policière. Autant d’éléments auquel Menepolhis tente de répondre.

Valorisation et ouverture d’une histoire de la police encore lacunaire

Les prémisses de Menepolhis (Methodological Network on Police History) remontent à une série de réflexions amorcées en 2016, en réaction aux séismes provoqués par les attentats terroristes à Paris et à Bruxelles. Confronté aux enjeux contemporains liés à la sécurité de la société, le projet – initié par l’université de Lille et des universités francophones et néerlandophones1 – se focalise alors sur des journées de discussions « méthode » et des conférences sur l’histoire de la police, à travers trois axes méthodologiques : l’identification et l’utilisation des chiffres et des statistiques de l’outil policier ; l’approche géographique de la présence et de la mobilité policière sur le territoire ; et l’utilisation des archives « nouvelles », plus précisément autour de l’histoire orale de la police.
En 2019, la volonté d’intégrer une dimension transfrontalière et « pérenne » apparaît au sein de Menepolhis. Comment continuer ce projet déjà bien lancé ? Germe alors l’idée d’un « Menepolhis 2.0 », plateforme numérique sur l’histoire des polices. Cependant, bien plus qu’une simple narration historique et « digitale » des forces de l’ordre, Menepolhis se profile comme une fusion dynamique, alliant à la fois traits d’encyclopédie, manuel méthodologique et d’histoire des polices. Évoluant de concert dans une démarche collaborative, transfrontalière et historiographique, le projet compile études de cas, dossiers thématiques, ressources digitales et notices explicatives, lesquels se structurent autours de six axes de recherche : les archives des polices ; les pratiques policières ; les policiers ; les discours et représentations de la police ; la matérialité policière et enfin les institutions policières.
Dans la même veine, le transfert d’archives de la Gendarmerie belge, de la Police générale du Royaume, ainsi que de la police fédérale aux Archives générales du Royaume permet le lancement, en 2020, du projet BRAIN 2.0 « Nationalisation de l’information policière en Belgique (1918-1961) : Processus de démocratisation et gestion bureaucratique des connaissances » (NaPol-Intel), financé par la Politique scientifique fédérale (BELSPO) et formalisant un partenariat entre les AGR, l’UCLouvain et l’UGent. Ce projet a pour objectif d’étudier les « processus de nationalisation des services de police, au travers des mutations de la société belge, ainsi que l’analyse de la création et de la gestion de l’information policière comme outil de légitimation des pratiques policières et des politiques sécuritaires de notre pays »2.
Dans une politique de valorisation, d’ouverture à la recherche et de mise en perspective de ces archives, NaPol-Intel et Menepolhis travaillent ainsi en symbiose. Au cœur de Menepolhis réside l’objectif primordial de présenter de manière synthétique et pédagogique les enjeux épistémologiques, critiques et méthodologiques fondamentaux autour de l’histoire des polices à des publics internationaux. Pour cette raison, Menepolhis ne se contente pas d’explorer l’histoire des polices, mais a pour ambition d’intégrer une composante « digitale » primordiale. Dans un monde où les avancées technologiques imprègnent chaque aspect de notre quotidien, le projet souhaite – à terme – capitaliser sur ces outils pour synthétiser et démocratiser l’accès aux données historiques de la police.

Menepolhis et NaPol-Intel, des projets en étroite collaboration (www.menepolhis.eu)

Un chantier conséquent …

Ainsi donc, en septembre 2020, la plateforme Menepolhis 2.0 voit le jour après une naissance compliquée. Le site est créé de toute pièce par un jobiste de l’UCLouvain/l’ULille, Vincent Mazy, sous l’encadrement de Jonas Campion (Université Québec à Trois-Rivières), Catherine Denys (ULille), Xavier Rousseaux (UCLouvain) et Françoise Muller (UCLouvain). Le site, sobre mais trilingue3, accueille le visiteur avec une illustration issues des Archives générales du Royaume et un menu composé des « Thèmes principaux », des « Outils de navigations » et des « Ressources ». Ce menu doit pouvoir rediriger l’utilisateur vers les différents axes de recherche du projet Menepolhis (présentés supra) et vers plusieurs outils qui peuvent lui permettre de naviguer de façon dynamique et intuitive au cœur des archives du monde policier et du site Menepolhis.

Un menu sobre et efficace, ouvrant une palette de possibilités (www.menepolhis.eu)

Á chaque axe de recherche se rattachent, d’une part, des notices générales dites « de méthode ». Celles-ci posent les cadres généraux des problèmes de méthodologie par rapport à une question de données et s’ancrent dans une logique de synthèse et de manuel. Elles vont par exemple traiter de la typologie plurielle des archives de police, de l’utilisation des sources orales dans l’étude du monde policier ou encore de la manifestation en démocratie, zone de conflits ou de débats .
D’autre part, nous y trouvons les études de cas, aussi appelées « notices appliquées ». Celles-ci s’apparentent davantage à des recherches menées par les différents collaborateurs du projet ou à des ressources spécifiques disponibles (par exemple en ligne). Ce type de notice peut correspondre à un résumé de recherches, par exemple sur la publication de revues policières ou encore sur l’histoire orale de la féminisation de la police communale en Belgique. Ces études de cas peuvent également s’appuyer sur des productions scientifiques inédites (cartes, séries chiffrées, analyse de sources iconographiques, …) issues de recherches récentes sur l’histoire des polices et mettant en application les enjeux méthodologiques cités ci-dessus.

Des « notices générales » et des « études de cas » illustrent les recherches ou productions scientifiques et méthodologiques des différents collaborateurs(www.menepolhis.eu)

Le deuxième onglet invite l’utilisateur à consulter les « outils de navigation ». Toujours en chantier, celui-ci se compose(ra) d’une ligne du temps basée sur les notices générales et les cas d’étude ; ainsi que d’une carte de l’Europe et de « visites virtuelles » (voir infra pour plus d’informations) de brigades interactives. L’objectif est ici d’insérer des éléments dynamiques et liés, qui peuvent se retrouver dans multiples parties de Menepolhis (par exemple, un article connecté à la ligne du temps, cliquable sur la carte de l’Europe et explorable grâce aux « visites virtuelles »).
En dernière partie, vous retrouverez les « Ressources de Menepolhis ». Ces ressources abritent, pour le moment, une bibliographie sélective des travaux et des sources (connectée à Zotero) de l’histoire des polices, ainsi que des capsules vidéo ou podcast des « artisans de l’histoire policière ».

… pour des perspectives prometteuses

Si Menepolhis a effectivement représenté un travail de longue haleine, les opportunités qui se profilent à son horizon sont toutefois multiples et – surtout - captivantes. Une dizaine d’ateliers et de travaux préparés en 2022-2023 seront prochainement clôturés et mis en ligne sous peu. Les perspectives pour Menepolhis en 2024 sont prometteuses, avec un ensemble diversifié de tâches et d’objectifs visant à enrichir la compréhension de l’histoire de la gendarmerie et le contenu du site. Nous en présenterons ici quelques-unes.
La collaboration avec des étudiants est, d’une certaine façon, au cœur du projet, avec leur participation à la création d’un guide de recherche exhaustif couvrant l’histoire de la gendarmerie, les travaux disponibles sur le monde policier, et les archives classées par période. Une attention particulière sera également portée aux notices sur les gendarmes “héros” qui sont décédés au cours de leur service, souvent dans des circonstances liées au combat, offrant ainsi une reconnaissance méritée à ces individus remarquables. Ces gendarmes ont notamment été mobilisés dans le cadre des Exercices d’histoire et de sciences sociales à l’UCLouvain.
Durant l’année 2023, d’autres étudiants ont été engagés pour mener une exploration approfondie des statistiques des activités de la gendarmerie, couvrant la période de 1950 à 1984. Ces données offrent un regard chiffré sur les procès-verbaux, les arrestations, les perquisitions, les saisies, les transferts, les contrôles, le matériel, etc. année par année. Elles seront présentées de manière intuitive, notamment à l’aide de « Cubes statistiques », et mises à la disponibilité de la recherche via Menepolhis.
De même, l’exploitation des photographies des brigades de gendarmerie sur lesquelles des étudiants ont travaillé pendant l’été 2023 propose des perspectives intéressantes. Ces images, provenant des Archives de l’État, offriront la possibilité de réaliser des “visites virtuelles” de plusieurs brigades en Belgique, lesquelles seront disponibles pour 2024. Les premières prospections pour la province du Hainaut montrent déjà une cinquantaine de brigades pertinentes pour des « excursions en ligne » dans lequel l’utilisateur pourra accéder à des vues de casernes d’époque, créant ainsi une expérience immersive similaire à celle de “Street View”. Une autre composante clé du projet est la création d’une cartographie contextuelle, connectée et intuitive des différentes brigades de gendarmerie, initialement centrée sur la Belgique et l’Europe. Cette cartographie sera continuellement mise à jour, offrant aux internautes la possibilité d’observer l’évolution territoriale de l’appareil policier au fil du temps.

Les visites virtuelles sont un des principaux objectifs pour l’année à venir de Menepolhis. Ici, vous pouvez jeter un œil à la brigade de Frameries, Hainaut. (Bruxelles, Archives générales du Royaume, Police fédérale. Service historique. Dossiers de Brigades de Gendarmerie. 1837-2003, dossier n° 1901)

Menepolhis ne se limite pas uniquement à la recherche, mais se profile également comme une initiative éducative. Face aux débats actuels sur la crise dans la police transnationale et les relations entre citoyenneté et police, le projet s’efforce d’enrichir ces discussions en offrant perspectives historique, historiographique et méthodologique. Cette approche permet une meilleure compréhension des enjeux actuels, offrant ainsi un éclairage sur les défis contemporains de la régulation sociale. Le projet ambitionne de se positionner comme une plateforme novatrice et collaborative, explorant les méandres de l’histoire policière tout en intégrant également une dimension numérique moderne. Il se présente comme un outil évolutif mais surtout essentiel pour les chercheurs, les étudiants, les forces de l’ordre mais également pour toute personne curieuse de l’histoire policière et de la régulation sociale à travers les époques et les territoires.
Concernant une visibilité plus large, l’organisation d’un colloque pour le projet NaPol-Intel est en cours pour les 25 et 26 janvier 2024. Ce colloque offrira une opportunité cruciale pour partager les découvertes et les avancées du projet avec un public élargi. Enfin, un numéro de revue thématique axé sur la matérialité policière est en cours de préparation pour la fin de l’année 2024 à la Revue Belge d’Histoire Contemporaine (RBHC). Ce numéro spécial constituera une contribution significative à la compréhension de la dimension matérielle de la police et de son évolution au fil du temps.
Toutes ces initiatives démontrent l’engagement continu de ce projet à explorer et partager de manière approfondie l’histoire fascinante de la gendarmerie. Rappelons de même que Menepolhis se revendique comme un outil évolutif et collaboratif. N’hésitez pas à nous contacter pour toute question ou pour toute proposition de participer à l’enrichissement de son contenu !

Referenties