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Interview d’Elie Teicher, doctorant en histoire (ULiège), à propos de son récent séjour de recherche à l’Université Québec à Trois-Rivières.

Virgile Royen, ULiège

Elie Teicher est chercheur en histoire à l’Université de Liège. En octobre 2018, il obtenu un mandat de doctorat FRESH pour étudier les diverses formes de violence dans les manifestations de gauche en Belgique de 1965 à 1985. Entre octobre 2021 et février 2022, Elie Teicher a eu la chance de poursuivre et d’approfondir ses recherches à l’Université de Québec à Trois-Rivières (UQTR), au Québec, au sein du Centre interuniversitaire d’Études québécoises (CIÉQ). De retour des rives du Saint-Laurent, Contemporanea lui donne la parole.

Cher Elie, qu’est-ce qui vous a amené à faire ce séjour de recherche au Canada ?

J’ai reçu une proposition de Jonas Campion, spécialiste de l’histoire des polices et professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Jonas Campion fait partie du comité d’accompagnement de ma thèse de doctorat ; il suit mes recherches depuis le tout début, et nous avons déjà travaillé ensemble par le passé sur des contributions et des projets de recherche. Pour moi, ce voyage de recherche était l’occasion de travailler à ses côtés, d’internationaliser mon parcours, mais aussi de diversifier mon expérience de thèse et ma bibliographie au contact des historiographies anglo-saxonne et québécoise.

Votre thèse de doctorat porte en effet sur la violence dans le cadre des manifestations de gauche entre 1965 et 1985 – que cette violence vienne des protestataires ou des forces de l’ordre. Mais ce projet vous a-t-il permis d’aller plus loin et d’étudier d’autres formes de violence politique ?

En effet, dans le cadre de mon séjour au Québec, j’ai élaboré avec Jonas Campion un sous-projet de recherche consacré à la comparaison entre les formes de violence utilisées et subies par, d’une part, le Front de Libération du Québec (FLQ) et d’autre part, les Cellules Combattantes Communistes (CCC) en Belgique. Ces deux mouvements menaient des actions que l’on qualifierait aujourd’hui de « terroristes », et que les intéressés qualifiaient eux-mêmes de « lutte armée révolutionnaire ». Le type de violence diffère complètement de ce qu’on peut retrouver dans le cadre d’une manifestation ou d’une grève, avec des réponses politiques et une répression de la part du pouvoir et des forces de l’ordre elles aussi tout à fait distinctes.
C’était aussi l’occasion de comparer des formes similaires d’activisme dans des contextes foncièrement différents. Au Québec, l’émergence du FLQ, organisation militante combinant indépendantisme québécois et socialisme révolutionnaire, survient au cœur de la « Révolution tranquille » des années 1960, une période au cours de laquelle le pays connaît un rapide développement économique, social et éducatif. Les actions du FLQ, qui culminèrent lors de la « Crise d’Octobre », en 19701 et débouchèrent sur une vague de répression inédite dans l’histoire du pays (à la faveur de la célèbre « Loi sur les mesures de guerre »), ont profondément marqué la société québécoise, encore divisée aujourd’hui sur l’interprétation des violences commises de part et d’autre. Il en va tout autrement pour les CCC belges, dont l’émergence, en 1984, a lieu sur fond d’impuissance syndicale, de réformes néolibérales, d’austérité et d’augmentation du chômage. Contrairement au FLQ, l’histoire des CCC n’a fait que très peu l’objet d’études scientifiques et demeure une séquence méconnue de l’histoire récente en Belgique.
Les comparaisons m’ont ainsi permis d’approfondir ma réflexion sur les rapports entre militantisme et recours à la violence, en me demandant comment des militants de gauche en arrivent à passer à la lutte armée, ce qui les y pousse, aussi bien en prenant en compte des éléments « macro » (contexte international, crise économique, etc.) que des éléments « micro » (réseaux militants, parcours individuels, etc.). Et surtout, l’intérêt de cette comparaison était d’élargir ma compréhension des institutions policières, en étudiant leurs décisions et stratégies dans un contexte très spécifique qu’est celui d’une lutte contre ce qu’on appelle le « terrorisme ».

Comment avez-vous financé votre séjour de recherche ?

Le Fonds de Recherche du Québec (FRQ) propose un « Programme de Bourses d’excellence pour étudiants étrangers » (PBEEE) qui offre la possibilité à des chercheurs de réaliser des séjours de recherche plus ou moins longs dans la Belle Province. Dans mon cas, il s’agissait d’un financement de type « Court séjour et de recherche et de perfectionnement », de quatre mois. Obtenir ce type de bourse impliquait de construire et déposer un dossier pour démontrer la pertinence scientifique du séjour, ce qui a été réalisé grâce au développement de cette problématique autour de la lutte armée. Il faut aussi vérifier la compatibilité des financements avec la bourse de financement belge, dans mon cas une bourse de type FRESH. Après un contact avec le FNRS et en fonction de règlements spécifiques, l’agrément a été donné sans trop de difficultés.

Est-ce que la covid a eu un impact sur votre séjour de recherche ?

Je suis arrivé au creux de la vague, et les premiers mois au Québec se sont plutôt bien passés. Malheureusement, à partir de décembre 2021, tout a refermé : cafés, festivals, théâtres, restaurants… Toute la vie culturelle québécoise à l’arrêt. Mais le plus gros problème qu’a posé la covid a été le contrôle accru aux frontières du Canada. Il a fallu que j’obtienne un permis de travail, ce qui exigeait de procurer aux services de l’immigration canadiens des preuves que je touchais un revenu en Belgique et pouvait subvenir seul à mes besoins. Beaucoup de paperasse et de stress. En temps normal, un permis d’études aurait suffi. Côté recherche scientifique, les communications que je devais réaliser ont dû être prononcées « en ligne », ce qui est toujours problématique pour assurer un réel échange avec le public. Par contre, l’université n’a jamais été fermée totalement et j’ai pu accéder aux bibliothèques durant l’entièreté de mon séjour. Certaines rencontres que je devais faire ont dû se résumer à une discussion virtuelle : ce n’est pas vraiment la façon la plus chaleureuse de faire connaissance !

Avez-vous observé des différences au point de vue de la vie académique entre la Belgique et le Québec ?

Le statut des professeurs est complètement différent au Québec de celui des professeurs belges. En Belgique, le personnel académique est doté d’un statut de travail particulier garanti par arrêté, leur offrant une grande stabilité d’emploi et une grande liberté dans leur enseignement. Le prix qu’ils ou elles doivent payer, c’est la lourdeur des charges de cours. Au Québec, au contraire, le contenu des enseignements est davantage réglementé, et les enseignants sont des salariés comme les autres. Leurs salaires, mais aussi le nombre d’heures qu’ils consacrent par jour à l’enseignement et à la recherche, sont établis par des conventions collectives suite à des négociations avec la direction, de sorte qu’ils disposent de beaucoup plus de temps pour leurs travaux de recherche que leurs collègues belges. Cela crée de belles dynamiques de recherches et de beaux projets. Je n’ai par contre pas rencontré beaucoup de doctorants : la vie universitaire était impactée par la pandémie et beaucoup de chercheurs préféraient travailler à domicile. Je ne sais donc pas vraiment quelles sont les différences avec la Belgique.

Qu’est-ce que cette expérience internationale vous a apporté ?

Outre la découverte d’une dimension méconnue de l’histoire des violences politiques, ce séjour m’a permis de consulter des bibliothèques particulièrement riches en matière d’histoire de la police et du maintien de l’ordre. Il m’a aussi permis de découvrir un autre contexte historiographique, tourné à la fois vers la France et vers les États-Unis. J’ai d’ores et déjà rédigé un article sur la comparaison que j’ai pu faire entre FLQ et CCC et j’ai pu faire relire un chapitre de ma thèse par Jonas Campion. Ça a été l’occasion de discuter avec lui, de peaufiner mes méthodes, d’en découvrir d’autres à son contact, etc.
Mais en-dehors du travail de recherche, c’était surtout l’occasion de découvrir un autre pays, une autre histoire, rythmée par une chronologie complètement différente de la nôtre, quoique marquée, là aussi, par l’importance d’un conflit linguistique. C’était très enrichissant, ça permettait d’alimenter mon regard sur le monde. Au-delà de cette question, je crois qu’il y a peu d’emplois comme celui de chercheur qui nous offre autant de temps libre pour découvrir des cultures différentes, des paysages et surtout des gens ! Les Québécois sont véritablement charmants et accueillants et j’ai rencontré des gens en séjours internationaux qui venaient de nombreux pays, c’était dépaysant !

En-dehors de tes recherches, comment se passait votre vie à Trois-Rivières ?

Trois-Rivières est une petite ville de la taille de Liège, qui a été frappée de plein fouet par la désindustrialisation dans les années ’80-‘90. Comme la plupart des villes américaines, il s’agit surtout d’une énorme banlieue pavillonnaire enserrant un petit centre-ville historique plein de charme. De la même manière, l’université est située sur un campus à l’Américaine, à l’écart de la ville, relativement autonome, avec son centre sportif, ses grandes bibliothèques en open space, etc. Moi-même, j’habitais dans une maison communautaire, avec d’autres chercheurs et étudiants québécois, africains, français… Mais comme je l’ai dit, les enseignants et les chercheurs viennent et habitent souvent hors de la ville, de sorte qu’il y a relativement peu de vie universitaire en dehors des cours, surtout en temps de covid-19. Rien à voir avec l’animation des grandes villes de Montréal et Québec, dont j’ai pu profiter au cours d’excursions avec des amis québécois. En outre, le mode de vie québécois reste très américain, avec l’empire de la bagnole, des transports en commun rares et chers, heureusement compensés par des services de covoiturages efficaces.

Auriez-vous des conseils à donner aux jeunes chercheur·euse·s qui envisagent un voyage à l’étranger pendant leur doctorat ?

Très prosaïquement, je dirais de lire très attentivement les règlements des bourses, des procédures d’inscription, de demandes de financements, etc., car le diable se cache dans les détails et rien n’est aussi stressant que de prendre l’avion sans être sûr que la douane vous laissera entrer à l’arrivée. Surtout quand il s’agit d’un séjour hors d’Europe.
Au-delà de ça, je crois qu’il ne faut pas hésiter : c’est une occasion unique de se dépayser que le statut de chercheur permet et dont il faut pouvoir profiter. En plus, les Québécois sont demandeurs et ils accueillent volontiers des chercheurs.ses belges sur leurs campus. Le FNRS et le FRQ ont l’habitude de travailler ensemble. Le Programme de Bourses d’excellence pour étudiants étrangers offre différents types de financements pour des séjours de plus ou moins longue durée, et propose notamment des mandats postdoctoraux intéressants. La Belgique francophone a droit à sa quote-part, ce qui en fait un financement relativement accessible. Dans le cadre d’une recherche doctorale, un séjour est aussi l’occasion d’une bouffée d’oxygène et, même s’il reste consacré à nos activités scientifiques habituelles, permet de les penser différemment, entouré qu’on est de chercheurs aux horizons et pratiques peut-être distinctes des nôtres : quand on rentre, le travail de thèse est nécessairement envisagé de manière un peu différente !

Si vous en aviez l’occasion, seriez-vous prêt à refaire un séjour de recherche à l’Université de Trois-Rivières ?

J’aimerais avoir l’occasion de repartir à l’étranger au cours de ma carrière scientifique, bien sûr, mais pas nécessairement au Québec. J’ai pris le temps de découvrir et de profiter du pays : quitte à repartir à l’étranger, je préférerais en découvrir un autre. Mais j’y retournerais volontiers pour de plus courts séjours pour travailler avec Jonas Campion, ou organiser des manifestations scientifiques avec lui.

- Virgile Royen

Références

  1. En octobre 1970, le FLQ enleva coup sur coup un attaché commercial britannique et le ministre provincial du Travail québécois. Ce dernier fut retrouvé mort une semaine plus tard.